Vulnérabilités et territoires
Ouvrage coordonné par
Maryse Gaimard, Matthieu Gateau
Francis Ribeyre, Bernadette Bichet
Éditions Kaïros
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Sommaire
Vous pouvez télécharger les articles ci-dessous (grisés)
Introduction : de la vulnérabilité au territoire
Maryse GAIMARD, Matthieu GATEAU, Francis RIBEYRE, Bernadette BICHET
RISQUES ENVIRONNEMENTAUX ET VULNÉRABILITÉS
Impact de la vulnérabilité sociale sur la conservation des ressources naturelles dans la Réserve de Biosphère de Mananara Nord, Madagascar
Manohisoa RAKOTONDRABE, Sigrid AUBERT, Jules RAZAFIARIJAONA, Jean–Pierre MÜLLER, Romaine RAMANANARIVO
Processus systémiques de vulnérabilisation en territoire de montagne et dynamiques institutionnelles : le cas de la Haute-Romanche
Frédéric BALLY, Marine GABILLET, Denis LAFORGUE, Sandra LAVOREL, Véronique PEYRACHE-GADEAU
Le développement des nanotechnologies à Grenoble : quelle prise en compte de la vulnérabilité à l’échelle locale ?
Cécile LIEVAL
Entre résilience et vulnérabilité d’un modèle de développement touristique. L’exemple des stations de haute altitude de Tarentaise
Anouk BONNEMAINS
La fabrique d’une vulnérabilité sociale : l’action publique locale face au moustique tigre
Marion LE TYRANT, Daniel BLEY
De la complexité territoriale à la vulnérabilité environnementale, quelle réflexion pour la compréhension des liens environnements- santé ? Questionnement à partir de retour d’expériences
Sandra PEREZ, Gilles MAIGNANT
VULNÉRABILITÉS SOCIO-CULTURELLES
Vulnérabilité des quartiers prioritaires Nantais : stratégie d’identification des résidents pour faire face à la discrimination résidentielle perçue
Laura DERVAL, André NDOBO, Ghozlane FLEURY-BAHI
Le petit monde des galeries marchandes : vulnérabilité sociale et territorialisation dans un centre commercial
Thibaut BESOZZI
Organisation sociale et prise en charge des personnes âgées (vulnérables) en pays Odjukru (Côte d’Ivoire)
Meless Siméon AKMEL
Déplacés et réfugiés du conflit casamançais à l’épreuve de la vulnérabilité
Doudou D. GUEYE
Défiance et défaillance : des stratégies en marge de l’offre de soins publique. Recours aux matrones et au marché informel du médicament à Madagascar
Chiarella MATTERN, Dolorès POURETTE
La route d’Apatou (Guyane), entre vecteur d’intégration et marqueur d’une frontière culturelle
Gueda GADIO
REPRÉSENTATIONS, RÉSILIENCE ET ADAPTATIONS
Vulnérabilité, connaissance et territoire. L’apport théorique de Maurice Halbwachs
Jean-Christophe MARCEL
Perceptions de la vulnérabilité de Mafate et de ses habitants (La Réunion)
Armelle KLEIN, Frédéric SANDRON
Territoires et vulnérabilité : mise en œuvre du concept de résilience autour d’un Agriparc
Hélène HOUDAYER
Pollutions industrielles historiques et vulnérabilité des territoires Aspects juridiques
Christine LAFEUILLE, Pascale STEICHEN
Sommaire
Vous pouvez télécharger les articles ci-dessous (grisés)
Introduction : de la vulnérabilité au territoire
Maryse GAIMARD, Matthieu GATEAU, Francis RIBEYRE, Bernadette BICHET
RISQUES ENVIRONNEMENTAUX ET VULNÉRABILITÉS
Impact de la vulnérabilité sociale sur la conservation des ressources naturelles dans la Réserve de Biosphère de Mananara Nord, Madagascar
Manohisoa RAKOTONDRABE, Sigrid AUBERT, Jules RAZAFIARIJAONA, Jean–Pierre MÜLLER, Romaine RAMANANARIVO
Processus systémiques de vulnérabilisation en territoire de montagne et dynamiques institutionnelles : le cas de la Haute-Romanche
Frédéric BALLY, Marine GABILLET, Denis LAFORGUE, Sandra LAVOREL, Véronique PEYRACHE-GADEAU
Le développement des nanotechnologies à Grenoble : quelle prise en compte de la vulnérabilité à l’échelle locale ?
Cécile LIEVAL
Entre résilience et vulnérabilité d’un modèle de développement touristique. L’exemple des stations de haute altitude de Tarentaise
Anouk BONNEMAINS
La fabrique d’une vulnérabilité sociale : l’action publique locale face au moustique tigre
Marion LE TYRANT, Daniel BLEY
De la complexité territoriale à la vulnérabilité environnementale, quelle réflexion pour la compréhension des liens environnements- santé ? Questionnement à partir de retour d’expériences
Sandra PEREZ, Gilles MAIGNANT
VULNÉRABILITÉS SOCIO-CULTURELLES
Vulnérabilité des quartiers prioritaires Nantais : stratégie d’identification des résidents pour faire face à la discrimination résidentielle perçue
Laura DERVAL, André NDOBO, Ghozlane FLEURY-BAHI
Le petit monde des galeries marchandes : vulnérabilité sociale et territorialisation dans un centre commercial
Thibaut BESOZZI
Organisation sociale et prise en charge des personnes âgées (vulnérables) en pays Odjukru (Côte d’Ivoire)
Meless Siméon AKMEL
Déplacés et réfugiés du conflit casamançais à l’épreuve de la vulnérabilité
Doudou D. GUEYE
Défiance et défaillance : des stratégies en marge de l’offre de soins publique. Recours aux matrones et au marché informel du médicament à Madagascar
Chiarella MATTERN, Dolorès POURETTE
La route d’Apatou (Guyane), entre vecteur d’intégration et marqueur d’une frontière culturelle
Gueda GADIO
REPRÉSENTATIONS, RÉSILIENCE ET ADAPTATIONS
Vulnérabilité, connaissance et territoire. L’apport théorique de Maurice Halbwachs
Jean-Christophe MARCEL
Perceptions de la vulnérabilité de Mafate et de ses habitants (La Réunion)
Armelle KLEIN, Frédéric SANDRON
Territoires et vulnérabilité : mise en œuvre du concept de résilience autour d’un Agriparc
Hélène HOUDAYER
Pollutions industrielles historiques et vulnérabilité des territoires Aspects juridiques
Christine LAFEUILLE, Pascale STEICHEN
Introduction
Maryse GAIMARD, Matthieu GATEAU, Francis RIBEYRE, Bernadette BICHET
Depuis longtemps, la notion de vulnérabilité est utilisée dans différents domaines scientifiques, d’abord en médecine, en psychologie comme en psychiatrie dans les années 1970, puis en économie ou pour les expertises concernant le développement international. Elle a ensuite connu un regain d’attention notoire au cours des années 1990-2000 où elle s’est même, en quelque sorte, vulgarisée. Au point de perdre parfois en précision et pertinence, au risque de devenir une « boîte noire », un concept « valise » tant ses définitions et ses usages sont multiples « dans les médias, les rapports et les communiqués des associations ou le monde universitaire » (Brodiez-Dolino, 2016).
Recouvrant de très nombreuses dimensions, qu’elles soient sanitaires, démographiques, économiques, géographiques, politiques, psychologiques, philosophiques ou encore sociologiques, la vulnérabilité est devenue l’objet de très nombreuses recherches pluri et interdisciplinaires à l’échelle internationale (Thomas, 2008).
Du côté des sciences humaines et sociales, cette notion polymorphe a depuis été largement investie, par exemple avec l’avènement ou la profusion des travaux sur le développement durable à un niveau macrosociologique ou avec la multiplication d’études sur les vulnérabilités de certaines catégories de populations, généralement celles qui sont les plus démunies et qui subissent une ou plusieurs formes de précarité. Citons donc, à une échelle plus microsociologique, les réfugiés, les personnes âgées, les habitants vivant dans des zones de relégation sociale et spatiale, les handicapés ou encore les enfants dont la fragilité intrinsèque en ferait, de manière idéal-typique, le public vulnérable par essence (Soulet, 2014).
Dans une société moderne souvent considérée comme une « société du risque » (Beck, 2001), la vulnérabilité touche des individus ou des groupes sociaux soumis à un contexte extraordinaire marqué par une situation de risques prononcés par rapport à une situation de référence (politique, environnementale, géographique, historique…) qui est, elle, caractérisée par la normalité. En d’autres termes, elle qualifie l’état de personnes ou de groupes exposés à des risques qui se déploient souvent selon plusieurs dimensions synchroniques (par exemple, les risques de maladie, de pauvreté et d’isolement sont souvent liés) et dont la nature peut varier. Il y aurait donc dans certaines situations un faisceau de facteurs combinés conduisant un individu ou une population à se vulnérabiliser ou à se penser comme tel. Les perceptions et les représentations sociales de la vulnérabilité constituent également une dimension essentielle de l’analyse du processus de « vulnérabilisation ».
Ainsi, la vulnérabilité peut rendre compte de l’ensemble des facteurs qui constituent la fragilité d’une société, d’un territoire, d’une population, d’une structure, d’un écosystème, d’une organisation ou encore d’un système politique. Elle peut également faire référence à des disparités sociales (pauvreté, exclusion, relégation spatiale…), à des catégories évolutives d’âge ou de santé (vieillesse, maladie, handicap…), à des déséquilibres conjoncturels ou systémiques (économiques, environnementaux, psychologiques), etc. Partant de là, la vulnérabilité est nécessairement relative, donc à situer ou, dit autrement, à contextualiser tant ses explications sont pluricausales. Elle inclut également une dimension comparative importante puisqu’elle émerge d’un processus de comparaisons très généralement implicite. Le flou de la notion et les multiples extensions qui peuvent lui être données ont sans doute à voir avec le fait que les références pour ces comparaisons sont, elles aussi, rarement explicitées.
De façon complémentaire, la notion de vulnérabilité présente ou contient en elle-même des enjeux éthiques et politiques majeurs: l’identification d’individus ou de populations en situation de vulnérabilité conduit à reconnaître leurs difficultés, mais peut également participer à leur stigmatisation (Goffman, 1975). Cela implique de s’interroger sur les effets de l’usage d’une telle notion, et la manière dont elle conduit à « détourner » certains pans de la réalité, ceux qu’on considère soumis à la vulnérabilité. La vulnérabilité s’inscrit en outre dans la durée et selon des étapes plus ou moins marquées qui constituent un processus de « vulnérabilisation » que le chercheur doit mettre au jour ; il en va ainsi, par exemple, du processus de vieillissement qui touche l’ensemble des sociétés développées et donc de leur population, même s’il est loin d’être uniforme.
La vulnérabilité peut enfin être abordée par ce qui permet de l’atténuer, la compenser ou même la positiver. Il en est ainsi de la résistance, de l’adaptabilité, de la mitigation et surtout de la résilience. Ce concept dernier est employé avec des acceptions elles aussi très diverses (De Bruijne et al., 2010) : pour certains auteurs il s’agit de la capacité à rebondir pour avancer ; pour d’autres, il intègre l’idée que le changement est inhérent à tout système et caractérise sa capacité à absorber des chocs tout en maintenant certaines fonctions clefs. Enfin, pour d’autres encore, la résilience est une manière d’afficher en positif ce que la vulnérabilité présente en négatif, même si elle n’est pas l’inverse de la vulnérabilité.
Il apparait in fine que la notion de vulnérabilité est marquée par une forme de pluralité qui se traduit dans ses définitions, dans les objets qu’elle recouvre ou même dans les enjeux qui lui sont afférant. Dans ce champ de recherche, la dimension spatiale des différentes formes de vulnérabilité revêt une importance capitale par les interactions qui s’effectuent entre les populations en situation de vulnérabilité et le territoire qu’elles occupent.
Le territoire est, comme le concept de vulnérabilité, une notion au cœur des débats scientifiques mais aussi politiques et économiques. La définition du territoire est complexe et cette notion remplace celle d’espace dès les années 1960, années pendant lesquelles l’aménagement du territoire s’est développé avec la prise en compte des besoins locaux. Le territoire, qui peut de prime abord être considéré comme un concept géographique, a été approché par différentes disciplines qui lui donnent des acceptions diverses.
Un territoire se présente comme un système, un espace organisé où interagissent les différents acteurs qui le composent et le font vivre. Selon Guy Di Méo (1998), le territoire, souvent abstrait, vécu et ressenti plus que visuellement repéré, est un espace social et un espace vécu. « Le territoire témoigne d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité… Cela dit, le concept de territoire, qui réunit les deux notions d’espace social et d’espace vécu, leur adjoint aussi, à notre sens, quatre significations supplémentaires :
1. Il décrit, en se fondant sur les données (spatiales) de la géographie, l’insertion de chaque sujet dans un groupe, voire dans plusieurs groupes sociaux de référence. Au bout de ces parcours, au terme de ces itinéraires personnels, se construit l’appartenance, l’identité collective. Cette expérience concrète de l’espace social conditionne aussi notre rapport aux autres, notre altérité. Elle la médiatise.
2. Le territoire traduit un mode de découpage et de contrôle de l’espace garantissant la spécificité et la permanence, la reproduction des groupes humains qui l’occupent. C’est sa dimension politique. Elle illustre la nature intentionnelle, le caractère volontaire de sa création.
3. Aménagé par les sociétés qui l’ont successivement investi, il constitue, en troisième lieu, un remarquable champ symbolique. Certains de ses éléments, instaurés en valeurs patrimoniales, contribuent à fonder ou à raffermir le sentiment d’identité collective des hommes qui l’occupent.
4. L’importance du temps long, de l’histoire en matière de construction symbolique des territoires….
Pour Kourtessis-Philippakis (2011) « un territoire est un lieu de vie, de pensée et d’action dans lequel et grâce auquel un individu ou un groupe se reconnaît, dote ce qui l’entoure de sens et se dote lui-même de sens, met en route un processus identificatoire et identitaire.» Il est généralement admis que le territoire est une construction sociale « qui se traduit, soit par un contrôle territorial, soit par un aménagement ou une structuration de l’espace». Il apparaît comme un espace identifié caractérisé par des pratiques et des représentations que le chercheur doit mettre au jour pour en comprendre plus finement les contours et le fonctionnement.
Les populations vivent le territoire, l’influencent et ce dernier agit aussi sur les individus. Du jeu des différents acteurs, « il en résulte, comme nous l’avons déjà signalé, des territoires en tension, c’est-à-dire dont l’équilibre dynamique repose sur un ensemble d’interrelations qui ne cessent de se modifier dans le temps. Elles sont en effet fondées sur des contraintes qui ne sont jamais complètement prévisibles, compte tenu de l’infinité de phénomènes qui se déroulent simultanément, en obéissant à des temporalités différentes, et modifient sans cesse le contexte décisionnel des acteurs. » (Moine, 2006).
Ainsi le territoire peut créer, entretenir, exacerber des vulnérabilités ou au contraire les atténuer voire les rendre plus supportables. Au-delà des conditions naturelles, physiques, climatiques et écologiques du territoire, ses caractéristiques économiques, sociales ou culturelles peuvent rendre certaines populations vulnérables.
Les interactions entre les vulnérabilités et les territoires sont donc multiples et leurs études s’inscrivent pleinement dans l’approche scientifique de l’écologie humaine. En effet, selon la définition d’Emile Crognier (1994), «L’écologie humaine est la part de l’écologie qui envisage les relations des êtres humains avec leur environnement naturel ou édifié, qu’il s’agisse des influences qu’ils subissent de la part du milieu inerte qui les entoure, des transformations qu’ils occasionnent à ce milieu, ou des relations qu’ils échangent avec l’ensemble des créatures animales et végétales qui en sont leurs cohabitants ». Nous pouvons donc considérer que les études consacrées à la vulnérabilité des populations en relation avec leurs territoires s’inscrivent pleinement dans cette approche scientifique.
Par rapport à l’écologie générale définie par Haeckel (1866) comme une science qui étudie les relations des organismes vivants avec leur environnement, l’écologie humaine accorde une place prépondérance à l’espèce humaine. Elle s’emploie à aborder des problématiques sociétales en mobilisant des connaissances, des méthodes et des outils issus de champs disciplinaires variés, inscrits dans les Sciences humaines et sociales (SHS), mais aussi dans les Sciences de la vie, de la terre et de l’univers (SVT), et des sciences de l’ingénieur.
Ceci se traduit par des études consacrées plus finement à tel ou tel groupe social, qu’il s’agisse d’une population associée à un territoire donné, d’un groupe de personnes affecté par des risques sanitaires particuliers, de personnes soumises à des contraintes climatiques similaires… Par exemple, pour un projet de recherche portant sur les systèmes de production-consommation responsables, deux groupes de personnes pourraient être distinguées dans le cadre de l’écologie humaine. i) D’une part, pour l’écologie industrielle, elles participant à des activités de production-distribution de biens et services, ce qui correspond aux interactions entre les activités entrepreneuriales et leurs environnements proches ou lointains, et pour lesquels nombre d’outils et de protocoles sont mis en œuvre (SME, audits, certifications …) ; ii) d’autre part, pour l’écologie familiale, celles situées hors contexte professionnel ou associatif, plus particulièrement les consommateurs qui par leurs activités domestiques contribuent aux perturbations écosystémiques.
Ces deux entités sociologiques, complémentaires et fortement inter- actives, plus ou moins disjonctives du fait d’interpénétrations spatiales, temporelles et culturelles, sont positionnées au cœur des territoires.
Dans la cadre de ces journées scientifiques il s’agissait avant tout de vulnérabilités humaines, et non de vulnérabilités centrées sur des espèces animales ou végétales. Vulnérabilités dues en partie à des modifications intrinsèques aux systèmes environnementaux liées i) d’une part à des phénomènes naturels (cyclones, éruptions volcaniques, activité solaire …), ou anthropiques en relation avec les modes de vie des populations humaines (rejets de polluants, déforestation massive, extractions excessives de matières premières, dégradation des infrastructures de transport ou des habitations) ; ii) d’autre part à des dysfonctionnements socio écologiques (gestion inadaptée des espaces et des ressources, défaillance des structures sociales …), mais toujours directement ou indirectement en relation avec les modifications environnementales. Toutefois, bien qu’apparemment dissociés, les mécanismes d’inter- actions avec les facteurs environnementaux renvoient implicitement à des dynamiques de coévolution entre environnements et êtres humains. Associés à la vulnérabilité des personnes, les territoires sont essentiellement analysés au travers de leurs constructions bio- socioculturelles passées, actuelles ou en devenir (limites/frontières, systèmes politiques, types d’activités, systèmes de santé, croyances, cultures …) et non d’un point de vue écologique (habitats, biotopes, milieux de vie de telle ou telle espèce ou communauté animale/végétale).
Au-delà de l’intérêt des domaines cognitifs et méthodologiques centrés sur la vie des êtres humains par les SHS, la prise en compte de leurs environnements, qu’ils soient biologiques ou physicochimiques, est également très importante du fait de leurs impacts, potentiels ou avérés, sur les modes de vie, la santé, les risques socio-économiques, les structures d’organisation et de gestion. Par exemple, le développement de bactéries pathogènes, l’amplification de contrastes climatiques, l’augmentation de polluants dans l’air, conduisent à des réponses humaines plus ou moins efficaces pour atténuer, prévenir, corriger les effets de ces « perturbateurs ». Cela justifie d’inclure dans les démarches d’écologie humaine de façon consistante des connaissances proposées par un très large éventail de champs disciplinaires, en plus de ceux compris dans les SHS. Il s’agira principalement de connaissances fondamentales ou appliquées associées à des domaines de l’écologie consacrées aux fonctionnements et dysfonctionnements des écosystèmes – écophysiologie, écotoxicologie, génétique des populations…-, à des domaines des géoressources – géologie, géophysique, hydrologie -, ou encore à ceux associés aux sciences de l’ingénieur – mathématique, physique, chimie, informatique…
En deçà d’une approche interdisciplinaire, c’est-à-dire d’une co- construction effective et approfondie entre les SVT et les SHS vis-à-vis d’une problématique sociétale, le recours aux SVT peut également s’opérer sous forme de transferts méthodologiques, d’outils, voire de concepts. Ainsi, à titre d’illustration de démarches transdisciplinaires, la résilience face à la vulnérabilité abordée par les SHS, souvent évoquée au cours de ces journées scientifiques, trouve un équivalent en écologie avec les connaissances relatives aux mécanismes homéostasiques (équilibres dynamiques) qui traduisent les capacités d’un écosystème à survivre face à des modifications environnementales quasi permanentes (choc hydrique pour des plantes, apparition d’espèces invasives, introduction d’un contaminant…). De même les notions de territoires centrées sur les êtres humains (espace, frontières, administrations, cultures….), trouvent une résonnance en SVT dans les études consacrées à la structure et à la dynamique des écosystèmes, aux migrations d’organismes, en s’appuyant sur la mise en évidence des liens intra spécifiques et inter spécifiques. De même, à partir des acquis technoscientifiques, la comparaison entre systèmes électroniques ou informatiques et le développement des structures cérébrales et comportementales permet de reformuler des questionnements, de représenter des flux d’énergie, de pratiquer des simulations, de faire évoluer les associations Hommes-machines. Ainsi, le recours à des modèles analogiques notamment peut apporter un éclairage nouveau sur une vision élaborée par les SHS en générant de nouvelles hypothèses, en confrontant des observations, en complétant ou en faisant émerger de nouvelles théories.
Hormis les approches interdisciplinaires et transdisciplinaires, des liens entre SVT et SHS se construisent aussi au travers de l’utilisation d’outils et de méthodes communs plus particulièrement empruntés aux sciences de l’ingénieur. Par exemple les pratiques des statistiques et de l’analyse des données, incluant les stratégies d’échantillonnage, présentent de nombreuses similitudes (plans d’échantillonnage, analyses multivariées, supports de représentations…). De même les moyens d’acquisition des données en SHS et SVT utilisent des protocoles expérimentaux ou in situ issus des développements technologiques et méthodologiques rencontrés en métrologie et en instrumentation pour caractériser les environnements humains ou animaux (bruit, polluant…), localiser des individus (détecteurs de présence, géolocalisation…). En outre, qu’il s’agisse du suivi d’effectifs de populations humaines (démographie) ou de populations animales (démoécologie), certains indicateurs utilisés sont relativement similaires (taux d’accroissement, taux de natalité/mortalité, espérances de vie, structures par âge…).
Toutefois, la volonté d’une interdisciplinarité dans laquelle des disciplines relevant des sciences de la vie de la terre et de l’ingénieur viendraient étayer les approches centrées sur les êtres humains se heurte en général à de plus grandes difficultés en termes de définition des problématiques, de méthodes d’investigation, de moyens financiers, de stratégies personnelles et d’équipes, ou encore de soutiens institutionnels. Malgré cela, le besoin de disposer de points de vue variés à l’égard d’une problématique sociétale large incite de plus en plus de chercheurs à associer, dès l’élaboration des projets, des disciplines des SVT et des SHS. Prendre en compte au tout début des réflexions le plus grand nombre de points de vue au regard des objectifs fixés, permet de cerner au mieux diverses composantes et interactions présentes au sein des anthroposystèmes étudiés. De plus, depuis quelques décennies les volontés de convergence réelle sur le terrain entre chercheurs des SHS et de SVT implique également l’élargissement aux acteurs politiques, sociaux, économiques (projets d’aménagement fonciers, de construction de bâtiments ou de structures routières, de réhabilitation de sites et sols pollués…). Cette mobilisation d’acquis et de savoir-faire disciplinaires très diversifiés, en vue d’objectifs partagés, correspond pleinement à la perception que l’on peut avoir de l’écologie humaine, dans laquelle se retrouvent en permanence une meilleure compréhension des êtres humains appréhendés au travers de divers regards, selon des objectifs plus ou moins précis (bien être, santé, éducation, comportements, vie sociale…), et la prise en compte de leurs environnements, qu’ils soient biologiques (espèces animales, végétales, micro-organismes) ou physico chimiques (polluants, condition climatiques …). Ces considérations sur l’écologie humaine ouvrent la voie à des applications concrètes, délimitées et finalisées qui peuvent se traduire aussi par leur mise en œuvre dans les démarches opérationnelles de développement durable (réduction du gaspillage, éducations formelle et informelle, réglementations…)
Cet ouvrage, issu pour partie des 27èmes journées scientifiques de la Société d’écologie humaine, propose une réflexion sur les dimensions territoriales des vulnérabilités à partir de travaux novateurs faisant la part belle à l’interdisciplinarité autant qu’à une perspective transnationale, seule à même de relayer la diversité et l’hétérogénéité évoquées précédemment. Il se situe par ailleurs dans la continuité de travaux antérieurs ayant déjà abordé la thématique des vulnérabilités et/ou des territoires, comme par exemple Milieux de vie et santé (Vernazza-Licht et al., 2003), Habiter le Littoral (Robert, Melin, 2016).
Il est composé de trois parties, la première porte plus particulièrement sur les relations entre les risques environnementaux et les vulnérabilités, la deuxième sur lesvulnérabilités socioculturelles, et la troisième s’intéressera aux représentations de la vulnérabilité par les populations et les moyens, ou les politiques publiques, mis en œuvre pour s’adapter aux vulnérabilités territoriales.
La première partie «risques environnementaux et vulnérabilités» montre les interrelations entre la fragilité environnementale d’un territoire et les difficultés des populations qui l’habitent. Rakotondrabé et al. analysent l’impact de la vulnérabilité sociale sur la conservation et la gestion durable des ressources forestières dans la Réserve de Biosphère de Mananara Nord (RBMN), au nord-est de Madagascar. La vulnérabilité sociale des ménages face à des risques cycloniques, aux variations des prix des produits de rente et à la fréquence des crises politiques, a des impacts considérables sur la gestion des ressources naturelles. Les auteurs montrent que la possibilité d’accès des ménages aux capitaux et leur aptitude à les convertir en activités pouvant générer des moyens d’existence durables les conditionnent à dépendre ou non des ressources naturelles pour leur survie. Bally et al. nous conduisent ensuite dans la vallée de la Haute-Romanche (Isère), territoire de confins qui, par les découpages administratifs (position très périphérique relativement aux villes de Grenoble vers l’ouest et Briançon vers l’est) est identifié comme un territoire d’entre-deux, proche de la frontière italienne, et généralement présenté comme une vallée de transit. En raison du danger de glissement de terrain sur la montagne, la fermeture de la route met en place un processus d’isolement, qui joue alors comme facteur déclencheur de vulnérabilités systémiques qui, en quelques mois après la « crise », vont s’autoalimenter. Les auteurs analysent le processus de « vulnérabilisation » économique, sociale, sanitaire, énergétique, mais aussi politique de ce territoire, et mettent en lumière l’empowerment de citoyens, rassemblés en collectif pour faire pression sur les institutions politiques. Cécile Liéval s’intéresse au développement des nanotechnologies à Grenoble. Ce phénomène est marqué par de grands espoirs mais aussi de grandes incertitudes (risques technologiques, mais aussi économiques et sociaux, questionnements éthiques), dans un contexte de concurrence internationale où l’innovation est la clé de la compétitivité. On a donc à la fois une prise en compte précoce de la question des risques et un développement local où prévaut la logique de l’urgence face à la compétition internationale. L’auteure s’est attachée à analyser la nature des risques liés aux nanotechnologies et à la perception qu’en a la population locale enthousiasmée par ces installations qui non seulement créent des emplois mais bénéficient également d’une image « propre ». À partir des stations de haute altitude de Tarentaise, Anouk Bonnemains analyse le lien entre vulnérabilité territoriale et résilience d’un modèle de développement. L’auteure montre comment un modèle de développement peut entrainer une forte vulnérabilité d’une vallée face aux changements climatiques à travers l’étude de huit stations de sports d’hiver implantées dans la vallée de la Tarentaise (Savoie) regroupant à elles seules 30 % de la fréquentation française. Elle s’intéresse plus particulièrement aux années sans neige qui ont jalonné l’histoire des sports d’hiver, ainsi qu’aux transformations sociétales, avec comme point de rupture les années 1970. Elle montre comment ces stations se sont renforcées pendant cette période, se spécialisant dans le tourisme hivernal, rigidifiant de plus en plus ce modèle. Cette spécialisation a contribué à créer, à l’échelle de la vallée, une mono-économie basée sur une ressource naturelle unique : la neige. Ce manque de diversification est à l’origine de la vulnérabilité très forte de ce territoire aux changements climatiques. Marion Le Tyrant et Daniel Bley se penchent sur les vulnérabilités environnementales et sanitaires induites par le moustique. Ils nous apprennent que l’implantation du moustique Aedes albopictus en France métropolitaine, vecteur potentiel de virus tels que la dengue, le Chikungunya et le Zika, ne cesse de progresser depuis une dizaine d’années. En 2015, trente départements d’une large moitié sud du pays sont colonisés par le moustique, exposant ainsi les populations humaines à des situations de vulnérabilité sur ces territoires. Les autorités sanitaires ont mis en œuvre des moyens dans le but de lutter contre la dissémination du Chikungunya et de la dengue en métropole. Pour les auteurs, la prise en charge publique de ce risque, mobilisant un important réseau d’acteurs dans une logique de gouvernance multi-niveaux, conduit à une construction de ce risque par le niveau national, dans sa dimension sanitaire. Selon les représentations qu’ont les acteurs des vulnérabilités associées à la présence du moustique tigre sur leur territoire, les réponses apportées diffèrent. Elles peuvent alors être à dominante politique ou sanitaire ; s’inscrire dans le temps long ou répondre à l’urgence ; favoriser l’innovation collective ou non. Marion Le Tyrant et Daniel Bley défendent cette idée à travers deux cas d’études, à Fréjus/Saint-Raphaël et à Nîmes. Sandra Perez et Gilles Maignant questionnent la pertinence théorique de la notion de territoire pour étudier les liens environnement – santé. En effet, de très nombreuses données environnementales sont collectées à une échelle spatiale spécifique alors même que la nature du paramètre mesuré imposerait de s’affranchir de la notion de territoire. Cette complexité territoriale, couplée à la vulnérabilité environnementale des personnes montre que les liens environnements – santé méritent encore d’être approfondis afin de mieux estimer la vulnérabilité d’un territoire et des personnes qui le composent. Les auteurs s’intéressent notamment aux vulnérabilités différenciées tant d’un point de vue humain que territorial en s’appuyant d’une part sur un exemple de construction d’un observatoire environnements –santé, et plus spécifiquement sur la pollution de l’air dans les Alpes-Maritimes, et d’autre part sur des retours d’expériences menées à l’échelle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
La deuxième partie est consacrée aux vulnérabilités socio-culturelles engendrées par le territoire ou prenant refuge dans celui-ci. Laura Derval considère la réalité des inégalités territoriales et ses conséquences en termes de vulnérabilité psychologique chez certaines personnes. En l’occurrence, elle s’intéresse à la perception de la discrimination dans les quartiers prioritaires et à la manière dont leurs habitants y font face. A partir d’une enquête réalisée auprès de 217 personnes, elle met en lumière le vécu des résidents des quartiers prioritaires nantais dans un contexte inégalitaire, en étudiant plus particulièrement le renforcement des liens au groupe d’appartenance pour compenser les effets négatifs de la discrimination perçue. Elle aborde, plus spécifiquement, la dynamique des liens entre la discrimination perçue et l’identification socio-spatiale, d’une part, et les modes de traitement du sentiment de vulnérabilité qui sont privilégiés par certains groupes sociaux, d’autre part. Thibaut Bessozi, à partir de l’étude ethnographique de la vie sociale d’un centre commercial, se focalise sur l’étude d’un groupe de personnes âgées s’y rendant quotidiennement sans effectuer d’achat. Ces personnes relativement pauvres ont quasiment vécu des ruptures biographiques (retraite, veuvage) occasionnant un sentiment de solitude et une perte de repères spatio-temporels. Vulnérables socialement et économiquement, ces personnes âgées s’approprient les galeries marchandes du centre commercial pour le transformer en véritable territoire de sociabilité personnalisée. Allant contre les objectifs marchands de l’institution économique, les « habitués » doivent négocier leur présence et détourner subtilement l’ordre conventionnel afin de maintenir « leur » territoire. Ils peuvent ainsi continuer d’y déployer des liens sociaux qui sont fondamentaux, pour eux, compte tenu de leur condition d’isolement relationnel. Contre toute attente, le centre commercial devient l’espace central d’une quotidienneté dont l’enjeu consiste à continuer d’exister socialement, en inscrivant son corps et ses relations dans un espace accessible et confortable. C’est ainsi que, malgré leur vulnérabilité sociale (et pour y remédier tant bien que mal) les personnes âgées étudiées se font une place (socialement et spatialement) dans la ville. Meless Siméon Akmel aborde la question de la vulnérabilité des personnes âgées en Afrique subsaharienne par une étude réalisée en Côte d’Ivoire en milieu rural, le pays odjukru. Il montre que la prise en charge des personnes âgées n’est pas une préoccupation majeure en Côte d’Ivoire et que l’organisation sociale odjukru peut être une réponse possible à la vulnérabilité de cette catégorie sociale. Pour l’auteur, la nécessité d’un retour aux valeurs sociales traditionnelles s’impose pour résoudre la question de la vulnérabilité des personnes âgées. Les contradictions liées aux conditions de vie précaires des personnes âgées nécessitent une déconstruction de la politique sociale en Côte d’Ivoire. Doudou Dièye Gueye explore la situation de vulnérabilité des déplacés et des réfugiés du conflit en Casamance au Sénégal. Il montre comment ils s’inscrivent dans des parcours étiquetés comme parcours vulnérables et comment s’opère le processus de stigmatisation à leur endroit par les populations accueillantes. Il s’agit plus spécifiquement de répondre à la problématique de la vulnérabilité dans un contexte de crise politique à l’échelle locale, ici la région. L’analyse porte sur les déterminants, les processus de stigmatisation et met également en évidence les leviers sur lesquels s’appuient les déplacés et les réfugiés pour sortir du parcours de vulnérabilité dans lequel ils sont inscrits. Dans le contexte malgache de crises politiques récurrentes, Chiarella Mattern et al. analysent la fragilisation de la population à l’égard du système de santé publique, peu apte à répondre aux besoins identifiés. Le système sanitaire s’est considérablement affaibli, ralentissant les progrès et entraînant la perte de confiance de la population qui se traduit par un faible taux de fréquentation des formations sanitaires. Dans ce contexte, les auteurs interrogent, d’un point de vue anthropologique, les stratégies d’évitement du système de santé publique, mises en place par les ménages malgaches. Face à la déliquescence du système sanitaire public et dans un contexte de « modernité insécurisée », les populations développent/renforcent des stratégies de recours aux soins en marge de l’offre de soins publique, stratégies de « non-recours » à ce système public, tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Plus spécifiquement, ils analysent comment, dans ce contexte de dégradation du système de santé, deux voies « alternatives » à l’offre publique sont empruntées: le suivi de la grossesse et de l’accouchement auprès de la matrone en milieu rural et l’automédication/le recours aux soignants issus du secteur privé en cas de maladies pour les ménages de la capitale. Ces pratiques mises en place par les populations interviennent afin de construire un modèle de gestion des maladies et de la reproduction davantage adapté au contexte de grande pauvreté et de désengagement de l’Etat dans la prise en charge de la santé. Guéda Gadio montre comment la construction d’une route dans le village d’Apatou, dans l’Ouest guyanais, bouleverse la structure socio- spatiale et socio-économique des populations les plus en marge et, par conséquent, comment elle renforce leurs vulnérabilités. Jusqu’au 9 mars 2010, seule la pirogue permettait de rejoindre le village favorisant l’émergence d’une société relativement isolée, les Bushinengués. Les regroupements socio-culturels et socio-spatiaux apparaissant à Apatou ont fait émerger des isolats-sociaux renforçant la vulnérabilité d’une grande partie de la population, notamment celle installée aux abords du fleuve. Pour sortir la commune de l’enclavement et pallier la marginalité socio-spatiale de la population, la construction d’une route a été décidée, reliant désormais Apatou au littoral guyanais. A la suite d’un travail de terrain, l’auteure mène une analyse de la route comme agent renforçant la vulnérabilité d’une grande partie de la population d’Apatou ; il apparaît une déstructuration de l’organe coutumier bushinengué. La route apparaît ainsi comme un révélateur du malaise social.
La troisième et dernière partie traite de la perception et des représentations de la vulnérabilité par les populations et des moyens ou des politiques publiques mis en œuvre pour s’adapter aux vulnérabilités territoriales. Jean-Christophe Marcel nous propose, tout d’abord, une réflexion sur une théorie de la connaissance qui lie représentations collectives de l’espace (territoire), formes de sociabilité et degré d’intégration (plus ou moins grande vulnérabilité), à partir d’une lecture de l’œuvre de Maurice Halbwachs. L’apport de ce dernier consiste à postuler que la puissance cognitive d’une représentation collective lui vient de sa stabilité. Or pour lui, ce qui, dans la vie sociale, est le plus stable s’inscrit dans l’espace. En conséquence de quoi, pour se sentir exister, et fournir à ses membres des motifs puissants de vouloir exister, un groupe doit se faire une représentation la plus claire possible de son « corps », c’est-à-dire de la distribution de sa population dans l’espace. Les représentations collectives spatiales constituent de ce fait des « représentations premières » dans la construction de la connaissance. Moins ces représentations sont stables et plus les individus et les groupes sont « vulnérables », c’est-à-dire ici en passe d’être « déclassés » pour Halbwachs. Ce qui les expose à toutes sortes de maux, compris comme des « conséquences de l’exclusion » en langage moderne : fragilité psychologique et affective, mise à l’écart des cercles de sociabilité etc. Plus les relations spatialement configurées sont éphémères et superficielles, plus les représentations spatiales sont floues, et plus l’individu est vulnérable. Puis, Armelle Klein et Frédéric Sandron cherchent à saisir les perceptions et les représentations concernant les aspects les plus marquants de la vulnérabilité des habitants de Mafate, dans l’île de La Réunion, mais aussi du territoire mafatais en tant qu’entité propre et spatialement délimitée. Le territoire de Mafate est un espace naturel, un cirque d’une centaine de kilomètres carrés sur lequel sont disséminés une dizaine de villages. Il s’agit d’un territoire montagneux très enclavé puisque aucune route ne le dessert et que plusieurs heures de marche sur des sentiers sont nécessaires pour y accéder. Sans réseau d’électricité ni d’adduction d’eau potable, soumis aux risques naturels et climatiques, les quelque 750 habitants n’ont en outre que peu d’opportunités économiques sur place exceptés les emplois forestiers et l’hébergement en gîte des randonneurs. Si les conditions de vie des Mafatais apparaissent objectivement rudes, il est plus difficile dans un contexte où la vulnérabilité est pluridimensionnelle d’en déceler précisément les facteurs constitutifs. Hélène Houdayer propose un exemple de résilience autour d’un Agriparc situé dans la région de Montpellier. Les dynamiques migratoires exercent sur les régions une forte pression foncière se traduisant par un étalement péri-urbain et une fréquentation des espaces verts en hausse, ce qui demande un réajustement des territoires. Partant de ce constat, l’auteure analyse le principe de gouvernance choisi par l’Agriparc qui correspond aux enjeux propres au développement durable : préserver un écosystème largement fréquenté par les habitants, concéder aux agriculteurs des terres dans une région occupée par une viticulture en constante progression, s’assurer de la satisfaction des riverains face à leur besoin de nature. Elle montre comment le projet de l’Agriparc opère les liens nécessaires nature-culture en jouant sur les émotions des habitants et le caractère des cultures proposées tout en restant attentif à la biodiversité. C’est un pari qui exprime un désir de société à réaliser, même si des limites apparaissent quant à la restructuration des espaces verts. Enfin, Christine Lafeuille et Pascale Steichen abordent la question des vulnérabilités territoriales sous un angle juridique, notamment pour les friches industrielles. Alors que de véritables écosystèmes socio-économiques s’étaient formés, favorisant une vie sociale et locale rythmée par l’industrie, la disparition des activités industrielles a entraîné un délitement progressif de vastes territoires. Ce délitement se manifeste aujourd’hui par une diminution et un appauvrissement de la population confrontée à un chômage récurrent. Dans un premier temps, des politiques publiques sectorielles ont été déployées pour favoriser la création de nouvelles activités, la rénovation du bâti et plus largement le maintien souvent artificiel d’un écosystème devenu inadapté. Mais aujourd’hui, la diminution des crédits publics amène les pouvoirs publics eux-mêmes à déserter ces lieux. C’est ainsi qu’aux friches industrielles, puis aux friches d’habitats se sont ajoutées des friches hospitalières, judiciaires, scolaires, etc.
Au plan juridique, cette désaffectation territoriale est la résultante, notamment, d’un traitement inadapté et tardif des cessations d’activités industrielles. Si les projets de réaménagement sont aujourd’hui privilégiés, un encadrement précis de ces opérations s’avère nécessaire pour sécuriser la reconversion de ces friches. Dans ce contexte, les auteurs examinent si cette politique peut constituer, encore aujourd’hui, un tremplin pour lutter contre les différents types de friches. Au plan national, l’examen des mesures d’accompagnement des reconversions en matière d’urbanisme laisse apparaître un certain nombre de failles, notamment en matière d’information du public. La vulnérabilité des territoires se conjugue alors avec les inégalités environnementales lorsque les pollutions perdurent.
BIBLIOGRAPHIE
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-SOULET M. H. (2014), « Vulnérabilité et enfance en danger. Quel rapport ? Quels apports ? », in Lardeux Laurent (coord.), Vulnérabilité, identification des risques et protection de l’enfance, Paris, La Documentation Française.
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Introduction
Maryse GAIMARD, Matthieu GATEAU, Francis RIBEYRE, Bernadette BICHET
Depuis longtemps, la notion de vulnérabilité est utilisée dans différents domaines scientifiques, d’abord en médecine, en psychologie comme en psychiatrie dans les années 1970, puis en économie ou pour les expertises concernant le développement international. Elle a ensuite connu un regain d’attention notoire au cours des années 1990-2000 où elle s’est même, en quelque sorte, vulgarisée. Au point de perdre parfois en précision et pertinence, au risque de devenir une « boîte noire », un concept « valise » tant ses définitions et ses usages sont multiples « dans les médias, les rapports et les communiqués des associations ou le monde universitaire » (Brodiez-Dolino, 2016).
Recouvrant de très nombreuses dimensions, qu’elles soient sanitaires, démographiques, économiques, géographiques, politiques, psychologiques, philosophiques ou encore sociologiques, la vulnérabilité est devenue l’objet de très nombreuses recherches pluri et interdisciplinaires à l’échelle internationale (Thomas, 2008).
Du côté des sciences humaines et sociales, cette notion polymorphe a depuis été largement investie, par exemple avec l’avènement ou la profusion des travaux sur le développement durable à un niveau macrosociologique ou avec la multiplication d’études sur les vulnérabilités de certaines catégories de populations, généralement celles qui sont les plus démunies et qui subissent une ou plusieurs formes de précarité. Citons donc, à une échelle plus microsociologique, les réfugiés, les personnes âgées, les habitants vivant dans des zones de relégation sociale et spatiale, les handicapés ou encore les enfants dont la fragilité intrinsèque en ferait, de manière idéal-typique, le public vulnérable par essence (Soulet, 2014).
Dans une société moderne souvent considérée comme une « société du risque » (Beck, 2001), la vulnérabilité touche des individus ou des groupes sociaux soumis à un contexte extraordinaire marqué par une situation de risques prononcés par rapport à une situation de référence (politique, environnementale, géographique, historique…) qui est, elle, caractérisée par la normalité. En d’autres termes, elle qualifie l’état de personnes ou de groupes exposés à des risques qui se déploient souvent selon plusieurs dimensions synchroniques (par exemple, les risques de maladie, de pauvreté et d’isolement sont souvent liés) et dont la nature peut varier. Il y aurait donc dans certaines situations un faisceau de facteurs combinés conduisant un individu ou une population à se vulnérabiliser ou à se penser comme tel. Les perceptions et les représentations sociales de la vulnérabilité constituent également une dimension essentielle de l’analyse du processus de « vulnérabilisation ».
Ainsi, la vulnérabilité peut rendre compte de l’ensemble des facteurs qui constituent la fragilité d’une société, d’un territoire, d’une population, d’une structure, d’un écosystème, d’une organisation ou encore d’un système politique. Elle peut également faire référence à des disparités sociales (pauvreté, exclusion, relégation spatiale…), à des catégories évolutives d’âge ou de santé (vieillesse, maladie, handicap…), à des déséquilibres conjoncturels ou systémiques (économiques, environnementaux, psychologiques), etc. Partant de là, la vulnérabilité est nécessairement relative, donc à situer ou, dit autrement, à contextualiser tant ses explications sont pluricausales. Elle inclut également une dimension comparative importante puisqu’elle émerge d’un processus de comparaisons très généralement implicite. Le flou de la notion et les multiples extensions qui peuvent lui être données ont sans doute à voir avec le fait que les références pour ces comparaisons sont, elles aussi, rarement explicitées.
De façon complémentaire, la notion de vulnérabilité présente ou contient en elle-même des enjeux éthiques et politiques majeurs: l’identification d’individus ou de populations en situation de vulnérabilité conduit à reconnaître leurs difficultés, mais peut également participer à leur stigmatisation (Goffman, 1975). Cela implique de s’interroger sur les effets de l’usage d’une telle notion, et la manière dont elle conduit à « détourner » certains pans de la réalité, ceux qu’on considère soumis à la vulnérabilité. La vulnérabilité s’inscrit en outre dans la durée et selon des étapes plus ou moins marquées qui constituent un processus de « vulnérabilisation » que le chercheur doit mettre au jour ; il en va ainsi, par exemple, du processus de vieillissement qui touche l’ensemble des sociétés développées et donc de leur population, même s’il est loin d’être uniforme.
La vulnérabilité peut enfin être abordée par ce qui permet de l’atténuer, la compenser ou même la positiver. Il en est ainsi de la résistance, de l’adaptabilité, de la mitigation et surtout de la résilience. Ce concept dernier est employé avec des acceptions elles aussi très diverses (De Bruijne et al., 2010) : pour certains auteurs il s’agit de la capacité à rebondir pour avancer ; pour d’autres, il intègre l’idée que le changement est inhérent à tout système et caractérise sa capacité à absorber des chocs tout en maintenant certaines fonctions clefs. Enfin, pour d’autres encore, la résilience est une manière d’afficher en positif ce que la vulnérabilité présente en négatif, même si elle n’est pas l’inverse de la vulnérabilité.
Il apparait in fine que la notion de vulnérabilité est marquée par une forme de pluralité qui se traduit dans ses définitions, dans les objets qu’elle recouvre ou même dans les enjeux qui lui sont afférant. Dans ce champ de recherche, la dimension spatiale des différentes formes de vulnérabilité revêt une importance capitale par les interactions qui s’effectuent entre les populations en situation de vulnérabilité et le territoire qu’elles occupent.
Le territoire est, comme le concept de vulnérabilité, une notion au cœur des débats scientifiques mais aussi politiques et économiques. La définition du territoire est complexe et cette notion remplace celle d’espace dès les années 1960, années pendant lesquelles l’aménagement du territoire s’est développé avec la prise en compte des besoins locaux. Le territoire, qui peut de prime abord être considéré comme un concept géographique, a été approché par différentes disciplines qui lui donnent des acceptions diverses.
Un territoire se présente comme un système, un espace organisé où interagissent les différents acteurs qui le composent et le font vivre. Selon Guy Di Méo (1998), le territoire, souvent abstrait, vécu et ressenti plus que visuellement repéré, est un espace social et un espace vécu. « Le territoire témoigne d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité… Cela dit, le concept de territoire, qui réunit les deux notions d’espace social et d’espace vécu, leur adjoint aussi, à notre sens, quatre significations supplémentaires :
1. Il décrit, en se fondant sur les données (spatiales) de la géographie, l’insertion de chaque sujet dans un groupe, voire dans plusieurs groupes sociaux de référence. Au bout de ces parcours, au terme de ces itinéraires personnels, se construit l’appartenance, l’identité collective. Cette expérience concrète de l’espace social conditionne aussi notre rapport aux autres, notre altérité. Elle la médiatise.
2. Le territoire traduit un mode de découpage et de contrôle de l’espace garantissant la spécificité et la permanence, la reproduction des groupes humains qui l’occupent. C’est sa dimension politique. Elle illustre la nature intentionnelle, le caractère volontaire de sa création.
3. Aménagé par les sociétés qui l’ont successivement investi, il constitue, en troisième lieu, un remarquable champ symbolique. Certains de ses éléments, instaurés en valeurs patrimoniales, contribuent à fonder ou à raffermir le sentiment d’identité collective des hommes qui l’occupent.
4. L’importance du temps long, de l’histoire en matière de construction symbolique des territoires….
Pour Kourtessis-Philippakis (2011) « un territoire est un lieu de vie, de pensée et d’action dans lequel et grâce auquel un individu ou un groupe se reconnaît, dote ce qui l’entoure de sens et se dote lui-même de sens, met en route un processus identificatoire et identitaire.» Il est généralement admis que le territoire est une construction sociale « qui se traduit, soit par un contrôle territorial, soit par un aménagement ou une structuration de l’espace». Il apparaît comme un espace identifié caractérisé par des pratiques et des représentations que le chercheur doit mettre au jour pour en comprendre plus finement les contours et le fonctionnement.
Les populations vivent le territoire, l’influencent et ce dernier agit aussi sur les individus. Du jeu des différents acteurs, « il en résulte, comme nous l’avons déjà signalé, des territoires en tension, c’est-à-dire dont l’équilibre dynamique repose sur un ensemble d’interrelations qui ne cessent de se modifier dans le temps. Elles sont en effet fondées sur des contraintes qui ne sont jamais complètement prévisibles, compte tenu de l’infinité de phénomènes qui se déroulent simultanément, en obéissant à des temporalités différentes, et modifient sans cesse le contexte décisionnel des acteurs. » (Moine, 2006).
Ainsi le territoire peut créer, entretenir, exacerber des vulnérabilités ou au contraire les atténuer voire les rendre plus supportables. Au-delà des conditions naturelles, physiques, climatiques et écologiques du territoire, ses caractéristiques économiques, sociales ou culturelles peuvent rendre certaines populations vulnérables.
Les interactions entre les vulnérabilités et les territoires sont donc multiples et leurs études s’inscrivent pleinement dans l’approche scientifique de l’écologie humaine. En effet, selon la définition d’Emile Crognier (1994), «L’écologie humaine est la part de l’écologie qui envisage les relations des êtres humains avec leur environnement naturel ou édifié, qu’il s’agisse des influences qu’ils subissent de la part du milieu inerte qui les entoure, des transformations qu’ils occasionnent à ce milieu, ou des relations qu’ils échangent avec l’ensemble des créatures animales et végétales qui en sont leurs cohabitants ». Nous pouvons donc considérer que les études consacrées à la vulnérabilité des populations en relation avec leurs territoires s’inscrivent pleinement dans cette approche scientifique.
Par rapport à l’écologie générale définie par Haeckel (1866) comme une science qui étudie les relations des organismes vivants avec leur environnement, l’écologie humaine accorde une place prépondérance à l’espèce humaine. Elle s’emploie à aborder des problématiques sociétales en mobilisant des connaissances, des méthodes et des outils issus de champs disciplinaires variés, inscrits dans les Sciences humaines et sociales (SHS), mais aussi dans les Sciences de la vie, de la terre et de l’univers (SVT), et des sciences de l’ingénieur.
Ceci se traduit par des études consacrées plus finement à tel ou tel groupe social, qu’il s’agisse d’une population associée à un territoire donné, d’un groupe de personnes affecté par des risques sanitaires particuliers, de personnes soumises à des contraintes climatiques similaires… Par exemple, pour un projet de recherche portant sur les systèmes de production-consommation responsables, deux groupes de personnes pourraient être distinguées dans le cadre de l’écologie humaine. i) D’une part, pour l’écologie industrielle, elles participant à des activités de production-distribution de biens et services, ce qui correspond aux interactions entre les activités entrepreneuriales et leurs environnements proches ou lointains, et pour lesquels nombre d’outils et de protocoles sont mis en œuvre (SME, audits, certifications …) ; ii) d’autre part, pour l’écologie familiale, celles situées hors contexte professionnel ou associatif, plus particulièrement les consommateurs qui par leurs activités domestiques contribuent aux perturbations écosystémiques.
Ces deux entités sociologiques, complémentaires et fortement inter- actives, plus ou moins disjonctives du fait d’interpénétrations spatiales, temporelles et culturelles, sont positionnées au cœur des territoires.
Dans la cadre de ces journées scientifiques il s’agissait avant tout de vulnérabilités humaines, et non de vulnérabilités centrées sur des espèces animales ou végétales. Vulnérabilités dues en partie à des modifications intrinsèques aux systèmes environnementaux liées i) d’une part à des phénomènes naturels (cyclones, éruptions volcaniques, activité solaire …), ou anthropiques en relation avec les modes de vie des populations humaines (rejets de polluants, déforestation massive, extractions excessives de matières premières, dégradation des infrastructures de transport ou des habitations) ; ii) d’autre part à des dysfonctionnements socio écologiques (gestion inadaptée des espaces et des ressources, défaillance des structures sociales …), mais toujours directement ou indirectement en relation avec les modifications environnementales. Toutefois, bien qu’apparemment dissociés, les mécanismes d’inter- actions avec les facteurs environnementaux renvoient implicitement à des dynamiques de coévolution entre environnements et êtres humains. Associés à la vulnérabilité des personnes, les territoires sont essentiellement analysés au travers de leurs constructions bio- socioculturelles passées, actuelles ou en devenir (limites/frontières, systèmes politiques, types d’activités, systèmes de santé, croyances, cultures …) et non d’un point de vue écologique (habitats, biotopes, milieux de vie de telle ou telle espèce ou communauté animale/végétale).
Au-delà de l’intérêt des domaines cognitifs et méthodologiques centrés sur la vie des êtres humains par les SHS, la prise en compte de leurs environnements, qu’ils soient biologiques ou physicochimiques, est également très importante du fait de leurs impacts, potentiels ou avérés, sur les modes de vie, la santé, les risques socio-économiques, les structures d’organisation et de gestion. Par exemple, le développement de bactéries pathogènes, l’amplification de contrastes climatiques, l’augmentation de polluants dans l’air, conduisent à des réponses humaines plus ou moins efficaces pour atténuer, prévenir, corriger les effets de ces « perturbateurs ». Cela justifie d’inclure dans les démarches d’écologie humaine de façon consistante des connaissances proposées par un très large éventail de champs disciplinaires, en plus de ceux compris dans les SHS. Il s’agira principalement de connaissances fondamentales ou appliquées associées à des domaines de l’écologie consacrées aux fonctionnements et dysfonctionnements des écosystèmes – écophysiologie, écotoxicologie, génétique des populations…-, à des domaines des géoressources – géologie, géophysique, hydrologie -, ou encore à ceux associés aux sciences de l’ingénieur – mathématique, physique, chimie, informatique…
En deçà d’une approche interdisciplinaire, c’est-à-dire d’une co- construction effective et approfondie entre les SVT et les SHS vis-à-vis d’une problématique sociétale, le recours aux SVT peut également s’opérer sous forme de transferts méthodologiques, d’outils, voire de concepts. Ainsi, à titre d’illustration de démarches transdisciplinaires, la résilience face à la vulnérabilité abordée par les SHS, souvent évoquée au cours de ces journées scientifiques, trouve un équivalent en écologie avec les connaissances relatives aux mécanismes homéostasiques (équilibres dynamiques) qui traduisent les capacités d’un écosystème à survivre face à des modifications environnementales quasi permanentes (choc hydrique pour des plantes, apparition d’espèces invasives, introduction d’un contaminant…). De même les notions de territoires centrées sur les êtres humains (espace, frontières, administrations, cultures….), trouvent une résonnance en SVT dans les études consacrées à la structure et à la dynamique des écosystèmes, aux migrations d’organismes, en s’appuyant sur la mise en évidence des liens intra spécifiques et inter spécifiques. De même, à partir des acquis technoscientifiques, la comparaison entre systèmes électroniques ou informatiques et le développement des structures cérébrales et comportementales permet de reformuler des questionnements, de représenter des flux d’énergie, de pratiquer des simulations, de faire évoluer les associations Hommes-machines. Ainsi, le recours à des modèles analogiques notamment peut apporter un éclairage nouveau sur une vision élaborée par les SHS en générant de nouvelles hypothèses, en confrontant des observations, en complétant ou en faisant émerger de nouvelles théories.
Hormis les approches interdisciplinaires et transdisciplinaires, des liens entre SVT et SHS se construisent aussi au travers de l’utilisation d’outils et de méthodes communs plus particulièrement empruntés aux sciences de l’ingénieur. Par exemple les pratiques des statistiques et de l’analyse des données, incluant les stratégies d’échantillonnage, présentent de nombreuses similitudes (plans d’échantillonnage, analyses multivariées, supports de représentations…). De même les moyens d’acquisition des données en SHS et SVT utilisent des protocoles expérimentaux ou in situ issus des développements technologiques et méthodologiques rencontrés en métrologie et en instrumentation pour caractériser les environnements humains ou animaux (bruit, polluant…), localiser des individus (détecteurs de présence, géolocalisation…). En outre, qu’il s’agisse du suivi d’effectifs de populations humaines (démographie) ou de populations animales (démoécologie), certains indicateurs utilisés sont relativement similaires (taux d’accroissement, taux de natalité/mortalité, espérances de vie, structures par âge…).
Toutefois, la volonté d’une interdisciplinarité dans laquelle des disciplines relevant des sciences de la vie de la terre et de l’ingénieur viendraient étayer les approches centrées sur les êtres humains se heurte en général à de plus grandes difficultés en termes de définition des problématiques, de méthodes d’investigation, de moyens financiers, de stratégies personnelles et d’équipes, ou encore de soutiens institutionnels. Malgré cela, le besoin de disposer de points de vue variés à l’égard d’une problématique sociétale large incite de plus en plus de chercheurs à associer, dès l’élaboration des projets, des disciplines des SVT et des SHS. Prendre en compte au tout début des réflexions le plus grand nombre de points de vue au regard des objectifs fixés, permet de cerner au mieux diverses composantes et interactions présentes au sein des anthroposystèmes étudiés. De plus, depuis quelques décennies les volontés de convergence réelle sur le terrain entre chercheurs des SHS et de SVT implique également l’élargissement aux acteurs politiques, sociaux, économiques (projets d’aménagement fonciers, de construction de bâtiments ou de structures routières, de réhabilitation de sites et sols pollués…). Cette mobilisation d’acquis et de savoir-faire disciplinaires très diversifiés, en vue d’objectifs partagés, correspond pleinement à la perception que l’on peut avoir de l’écologie humaine, dans laquelle se retrouvent en permanence une meilleure compréhension des êtres humains appréhendés au travers de divers regards, selon des objectifs plus ou moins précis (bien être, santé, éducation, comportements, vie sociale…), et la prise en compte de leurs environnements, qu’ils soient biologiques (espèces animales, végétales, micro-organismes) ou physico chimiques (polluants, condition climatiques …). Ces considérations sur l’écologie humaine ouvrent la voie à des applications concrètes, délimitées et finalisées qui peuvent se traduire aussi par leur mise en œuvre dans les démarches opérationnelles de développement durable (réduction du gaspillage, éducations formelle et informelle, réglementations…)
Cet ouvrage, issu pour partie des 27èmes journées scientifiques de la Société d’écologie humaine, propose une réflexion sur les dimensions territoriales des vulnérabilités à partir de travaux novateurs faisant la part belle à l’interdisciplinarité autant qu’à une perspective transnationale, seule à même de relayer la diversité et l’hétérogénéité évoquées précédemment. Il se situe par ailleurs dans la continuité de travaux antérieurs ayant déjà abordé la thématique des vulnérabilités et/ou des territoires, comme par exemple Milieux de vie et santé (Vernazza-Licht et al., 2003), Habiter le Littoral (Robert, Melin, 2016).
Il est composé de trois parties, la première porte plus particulièrement sur les relations entre les risques environnementaux et les vulnérabilités, la deuxième sur lesvulnérabilités socioculturelles, et la troisième s’intéressera aux représentations de la vulnérabilité par les populations et les moyens, ou les politiques publiques, mis en œuvre pour s’adapter aux vulnérabilités territoriales.
La première partie «risques environnementaux et vulnérabilités» montre les interrelations entre la fragilité environnementale d’un territoire et les difficultés des populations qui l’habitent. Rakotondrabé et al. analysent l’impact de la vulnérabilité sociale sur la conservation et la gestion durable des ressources forestières dans la Réserve de Biosphère de Mananara Nord (RBMN), au nord-est de Madagascar. La vulnérabilité sociale des ménages face à des risques cycloniques, aux variations des prix des produits de rente et à la fréquence des crises politiques, a des impacts considérables sur la gestion des ressources naturelles. Les auteurs montrent que la possibilité d’accès des ménages aux capitaux et leur aptitude à les convertir en activités pouvant générer des moyens d’existence durables les conditionnent à dépendre ou non des ressources naturelles pour leur survie. Bally et al. nous conduisent ensuite dans la vallée de la Haute-Romanche (Isère), territoire de confins qui, par les découpages administratifs (position très périphérique relativement aux villes de Grenoble vers l’ouest et Briançon vers l’est) est identifié comme un territoire d’entre-deux, proche de la frontière italienne, et généralement présenté comme une vallée de transit. En raison du danger de glissement de terrain sur la montagne, la fermeture de la route met en place un processus d’isolement, qui joue alors comme facteur déclencheur de vulnérabilités systémiques qui, en quelques mois après la « crise », vont s’autoalimenter. Les auteurs analysent le processus de « vulnérabilisation » économique, sociale, sanitaire, énergétique, mais aussi politique de ce territoire, et mettent en lumière l’empowerment de citoyens, rassemblés en collectif pour faire pression sur les institutions politiques. Cécile Liéval s’intéresse au développement des nanotechnologies à Grenoble. Ce phénomène est marqué par de grands espoirs mais aussi de grandes incertitudes (risques technologiques, mais aussi économiques et sociaux, questionnements éthiques), dans un contexte de concurrence internationale où l’innovation est la clé de la compétitivité. On a donc à la fois une prise en compte précoce de la question des risques et un développement local où prévaut la logique de l’urgence face à la compétition internationale. L’auteure s’est attachée à analyser la nature des risques liés aux nanotechnologies et à la perception qu’en a la population locale enthousiasmée par ces installations qui non seulement créent des emplois mais bénéficient également d’une image « propre ». À partir des stations de haute altitude de Tarentaise, Anouk Bonnemains analyse le lien entre vulnérabilité territoriale et résilience d’un modèle de développement. L’auteure montre comment un modèle de développement peut entrainer une forte vulnérabilité d’une vallée face aux changements climatiques à travers l’étude de huit stations de sports d’hiver implantées dans la vallée de la Tarentaise (Savoie) regroupant à elles seules 30 % de la fréquentation française. Elle s’intéresse plus particulièrement aux années sans neige qui ont jalonné l’histoire des sports d’hiver, ainsi qu’aux transformations sociétales, avec comme point de rupture les années 1970. Elle montre comment ces stations se sont renforcées pendant cette période, se spécialisant dans le tourisme hivernal, rigidifiant de plus en plus ce modèle. Cette spécialisation a contribué à créer, à l’échelle de la vallée, une mono-économie basée sur une ressource naturelle unique : la neige. Ce manque de diversification est à l’origine de la vulnérabilité très forte de ce territoire aux changements climatiques. Marion Le Tyrant et Daniel Bley se penchent sur les vulnérabilités environnementales et sanitaires induites par le moustique. Ils nous apprennent que l’implantation du moustique Aedes albopictus en France métropolitaine, vecteur potentiel de virus tels que la dengue, le Chikungunya et le Zika, ne cesse de progresser depuis une dizaine d’années. En 2015, trente départements d’une large moitié sud du pays sont colonisés par le moustique, exposant ainsi les populations humaines à des situations de vulnérabilité sur ces territoires. Les autorités sanitaires ont mis en œuvre des moyens dans le but de lutter contre la dissémination du Chikungunya et de la dengue en métropole. Pour les auteurs, la prise en charge publique de ce risque, mobilisant un important réseau d’acteurs dans une logique de gouvernance multi-niveaux, conduit à une construction de ce risque par le niveau national, dans sa dimension sanitaire. Selon les représentations qu’ont les acteurs des vulnérabilités associées à la présence du moustique tigre sur leur territoire, les réponses apportées diffèrent. Elles peuvent alors être à dominante politique ou sanitaire ; s’inscrire dans le temps long ou répondre à l’urgence ; favoriser l’innovation collective ou non. Marion Le Tyrant et Daniel Bley défendent cette idée à travers deux cas d’études, à Fréjus/Saint-Raphaël et à Nîmes. Sandra Perez et Gilles Maignant questionnent la pertinence théorique de la notion de territoire pour étudier les liens environnement – santé. En effet, de très nombreuses données environnementales sont collectées à une échelle spatiale spécifique alors même que la nature du paramètre mesuré imposerait de s’affranchir de la notion de territoire. Cette complexité territoriale, couplée à la vulnérabilité environnementale des personnes montre que les liens environnements – santé méritent encore d’être approfondis afin de mieux estimer la vulnérabilité d’un territoire et des personnes qui le composent. Les auteurs s’intéressent notamment aux vulnérabilités différenciées tant d’un point de vue humain que territorial en s’appuyant d’une part sur un exemple de construction d’un observatoire environnements –santé, et plus spécifiquement sur la pollution de l’air dans les Alpes-Maritimes, et d’autre part sur des retours d’expériences menées à
l’échelle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
La deuxième partie est consacrée aux vulnérabilités socio-culturelles engendrées par le territoire ou prenant refuge dans celui-ci. Laura Derval considère la réalité des inégalités territoriales et ses conséquences en termes de vulnérabilité psychologique chez certaines personnes. En l’occurrence, elle s’intéresse à la perception de la discrimination dans les quartiers prioritaires et à la manière dont leurs habitants y font face. A partir d’une enquête réalisée auprès de 217 personnes, elle met en lumière le vécu des résidents des quartiers prioritaires nantais dans un contexte inégalitaire, en étudiant plus particulièrement le renforcement des liens au groupe d’appartenance pour compenser les effets négatifs de la discrimination perçue. Elle aborde, plus spécifiquement, la dynamique des liens entre la discrimination perçue et l’identification socio-spatiale, d’une part, et les modes de traitement du sentiment de vulnérabilité qui sont privilégiés par certains groupes sociaux, d’autre part. Thibaut Bessozi, à partir de l’étude ethnographique de la vie sociale d’un centre commercial, se focalise sur l’étude d’un groupe de personnes âgées s’y rendant quotidiennement sans effectuer d’achat. Ces personnes relativement pauvres ont quasiment vécu des ruptures biographiques (retraite, veuvage) occasionnant un sentiment de solitude et une perte de repères spatio-temporels. Vulnérables socialement et économiquement, ces personnes âgées s’approprient les galeries marchandes du centre commercial pour le transformer en véritable territoire de sociabilité personnalisée. Allant contre les objectifs marchands de l’institution économique, les « habitués » doivent négocier leur présence et détourner subtilement l’ordre conventionnel afin de maintenir « leur » territoire. Ils peuvent ainsi continuer d’y déployer des liens sociaux qui sont fondamentaux, pour eux, compte tenu de leur condition d’isolement relationnel. Contre toute attente, le centre commercial devient l’espace central d’une quotidienneté dont l’enjeu consiste à continuer d’exister socialement, en inscrivant son corps et ses relations dans un espace accessible et confortable. C’est ainsi que, malgré leur vulnérabilité sociale (et pour y remédier tant bien que mal) les personnes âgées étudiées se font une place (socialement et spatialement) dans la ville. Meless Siméon Akmel aborde la question de la vulnérabilité des personnes âgées en Afrique subsaharienne par une étude réalisée en Côte d’Ivoire en milieu rural, le pays odjukru. Il montre que la prise en charge des personnes âgées n’est pas une préoccupation majeure en Côte d’Ivoire et que l’organisation sociale odjukru peut être une réponse possible à la vulnérabilité de cette catégorie sociale. Pour l’auteur, la nécessité d’un retour aux valeurs sociales traditionnelles s’impose pour résoudre la question de la vulnérabilité des personnes âgées. Les contradictions liées aux conditions de vie précaires des personnes âgées nécessitent une déconstruction de la politique sociale en Côte d’Ivoire. Doudou Dièye Gueye explore la situation de vulnérabilité des déplacés et des réfugiés du conflit en Casamance au Sénégal. Il montre comment ils s’inscrivent dans des parcours étiquetés comme parcours vulnérables et comment s’opère le processus de stigmatisation à leur endroit par les populations accueillantes. Il s’agit plus spécifiquement de répondre à la problématique de la vulnérabilité dans un contexte de crise politique à l’échelle locale, ici la région. L’analyse porte sur les déterminants, les processus de stigmatisation et met également en évidence les leviers sur lesquels s’appuient les déplacés et les réfugiés pour sortir du parcours de vulnérabilité dans lequel ils sont inscrits. Dans le contexte malgache de crises politiques récurrentes, Chiarella Mattern et al. analysent la fragilisation de la population à l’égard du système de santé publique, peu apte à répondre aux besoins identifiés. Le système sanitaire s’est considérablement affaibli, ralentissant les progrès et entraînant la perte de confiance de la population qui se traduit par un faible taux de fréquentation des formations sanitaires. Dans ce contexte, les auteurs interrogent, d’un point de vue anthropologique, les stratégies d’évitement du système de santé publique, mises en place par les ménages malgaches. Face à la déliquescence du système sanitaire public et dans un contexte de « modernité insécurisée », les populations développent/renforcent des stratégies de recours aux soins en marge de l’offre de soins publique, stratégies de « non-recours » à ce système public, tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Plus spécifiquement, ils analysent comment, dans ce contexte de dégradation du système de santé, deux voies « alternatives » à l’offre publique sont empruntées: le suivi de la grossesse et de l’accouchement auprès de la matrone en milieu rural et l’automédication/le recours aux soignants issus du secteur privé en cas de maladies pour les ménages de la capitale. Ces pratiques mises en place par les populations interviennent afin de construire un modèle de gestion des maladies et de la reproduction davantage adapté au contexte de grande pauvreté et de désengagement de l’Etat dans la prise en charge de la santé. Guéda Gadio montre comment la construction d’une route dans le village d’Apatou, dans l’Ouest guyanais, bouleverse la structure socio- spatiale et socio-économique des populations les plus en marge et, par conséquent, comment elle renforce leurs vulnérabilités. Jusqu’au 9 mars 2010, seule la pirogue permettait de rejoindre le village favorisant l’émergence d’une société relativement isolée, les Bushinengués. Les regroupements socio-culturels et socio-spatiaux apparaissant à Apatou ont fait émerger des isolats-sociaux renforçant la vulnérabilité d’une grande partie de la population, notamment celle installée aux abords du fleuve. Pour sortir la commune de l’enclavement et pallier la marginalité socio-spatiale de la population, la construction d’une route a été décidée, reliant désormais Apatou au littoral guyanais. A la suite d’un travail de terrain, l’auteure mène une analyse de la route comme agent renforçant la vulnérabilité d’une grande partie de la population d’Apatou ; il apparaît une déstructuration de l’organe coutumier bushinengué. La route apparaît ainsi comme un révélateur du malaise social.
La troisième et dernière partie traite de la perception et des représentations de la vulnérabilité par les populations et des moyens ou des politiques publiques mis en œuvre pour s’adapter aux vulnérabilités territoriales. Jean-Christophe Marcel nous propose, tout d’abord, une réflexion sur une théorie de la connaissance qui lie représentations collectives de l’espace (territoire), formes de sociabilité et degré d’intégration (plus ou moins grande vulnérabilité), à partir d’une lecture de l’œuvre de Maurice Halbwachs. L’apport de ce dernier consiste à postuler que la puissance cognitive d’une représentation collective lui vient de sa stabilité. Or pour lui, ce qui, dans la vie sociale, est le plus stable s’inscrit dans l’espace. En conséquence de quoi, pour se sentir exister, et fournir à ses membres des motifs puissants de vouloir exister, un groupe doit se faire une représentation la plus claire possible de son « corps », c’est-à-dire de la distribution de sa population dans l’espace. Les représentations collectives spatiales constituent de ce fait des « représentations premières » dans la construction de la connaissance. Moins ces représentations sont stables et plus les individus et les groupes sont « vulnérables », c’est-à-dire ici en passe d’être « déclassés » pour Halbwachs. Ce qui les expose à toutes sortes de maux, compris comme des « conséquences de l’exclusion » en langage moderne : fragilité psychologique et affective, mise à l’écart des cercles de sociabilité etc. Plus les relations spatialement configurées sont éphémères et superficielles, plus les représentations spatiales sont floues, et plus l’individu est vulnérable. Puis, Armelle Klein et Frédéric Sandron cherchent à saisir les perceptions et les représentations concernant les aspects les plus marquants de la vulnérabilité des habitants de Mafate, dans l’île de La Réunion, mais aussi du territoire mafatais en tant qu’entité propre et spatialement délimitée. Le territoire de Mafate est un espace naturel, un cirque d’une centaine de kilomètres carrés sur lequel sont disséminés une dizaine de villages. Il s’agit d’un territoire montagneux très enclavé puisque aucune route ne le dessert et que plusieurs heures de marche sur des sentiers sont nécessaires pour y accéder. Sans réseau d’électricité ni d’adduction d’eau potable, soumis aux risques naturels et climatiques, les quelque 750 habitants n’ont en outre que peu d’opportunités économiques sur place exceptés les emplois forestiers et l’hébergement en gîte des randonneurs. Si les conditions de vie des Mafatais apparaissent objectivement rudes, il est plus difficile dans un contexte où la vulnérabilité est pluridimensionnelle d’en déceler précisément les facteurs constitutifs. Hélène Houdayer propose un exemple de résilience autour d’un Agriparc situé dans la région de Montpellier. Les dynamiques migratoires exercent sur les régions une forte pression foncière se traduisant par un étalement péri-urbain et une fréquentation des espaces verts en hausse, ce qui demande un réajustement des territoires. Partant de ce constat, l’auteure analyse le principe de gouvernance choisi par l’Agriparc qui correspond aux enjeux propres au développement durable : préserver un écosystème largement fréquenté par les habitants, concéder aux agriculteurs des terres dans une région occupée par une viticulture en constante progression, s’assurer de la satisfaction des riverains face à leur besoin de nature. Elle montre comment le projet de l’Agriparc opère les liens nécessaires nature-culture en jouant sur les émotions des habitants et le caractère des cultures proposées tout en restant attentif à la biodiversité. C’est un pari qui exprime un désir de société à réaliser, même si des limites apparaissent quant à la restructuration des espaces verts. Enfin, Christine Lafeuille et Pascale Steichen abordent la question des vulnérabilités territoriales sous un angle juridique, notamment pour les friches industrielles. Alors que de véritables écosystèmes socio-économiques s’étaient formés, favorisant une vie sociale et locale rythmée par l’industrie, la disparition des activités industrielles a entraîné un délitement progressif de vastes territoires. Ce délitement se manifeste aujourd’hui par une diminution et un appauvrissement de la population confrontée à un chômage récurrent. Dans un premier temps, des politiques publiques sectorielles ont été déployées pour favoriser la création de nouvelles activités, la rénovation du bâti et plus largement le maintien souvent artificiel d’un écosystème devenu inadapté. Mais aujourd’hui, la diminution des crédits publics amène les pouvoirs publics eux-mêmes à déserter ces lieux. C’est ainsi qu’aux friches industrielles, puis aux friches d’habitats se sont ajoutées des friches hospitalières, judiciaires, scolaires, etc. Au plan juridique, cette désaffectation territoriale est la résultante, notamment, d’un traitement inadapté et tardif des cessations d’activités industrielles. Si les projets de réaménagement sont aujourd’hui privilégiés, un encadrement précis de ces opérations s’avère nécessaire pour sécuriser la reconversion de ces friches. Dans ce contexte, les auteurs examinent si cette politique peut constituer, encore aujourd’hui, un tremplin pour lutter contre les différents types de friches. Au plan national, l’examen des mesures d’accompagnement des reconversions en matière d’urbanisme laisse apparaître un certain nombre de failles, notamment en matière d’information du public. La vulnérabilité des territoires se conjugue alors avec les inégalités environnementales lorsque les pollutions perdurent.
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