Impact de l’homme sur les milieux naturels.
Perceptions et mesures

Ouvrage coordonné par
Baudot P., Bley D., Brun B., Pagezy H., Vernazza-Licht N.
Editions de Bergier, Châteauneuf de Grasse, 1996
212 pages
Format : 16 x 24
ISBN : 2-9511840-2-6
Ouvrage épuisé. Articles à télécharger ci-dessous
Sommaire

Couverture

Introduction : BAUDOT Patrick, BLEY Daniel, BRUN Bernard, PAGEZY Hélène, VERNAZZA-LICHT Nicole
L’impact de l’homme sur le milieu : quelle gestion pour quelle nature ?

BRUN Bernard
L’impact de l’homme sur la nature : évolution du vocabulaire

ROSSI Georges
Notre environnement : essai sur la géographie et l’écologie

BONIN Gilles, LOISEL René
Anthropisation et analyse écologique en milieu méditerranéen

RIBÉREAU-GAYON Marie-Dominique
Entendre, voir, sentir, aménager : les Landes de Gascogne

JIMENEZ Floréal
Barrages contre la nature. Lecture cinématographique d’une valorisation et d’une dévalorisation de l’action de l’homme sur la nature

MORHANGE Christophe, HESNARD Antoinette, BOUIRON Marc
5000 ans de dégradation du milieu naturel sur les rives du Lacydon de Marseille

PICON Bernard
De l’homme à la nature : l’exemple du Delta du Rhône

SIMONE Claude
Essaouira : naissance d’une ville et impact de ses activités sur le milieu

PICOUET Michel
Croissance démographique et anthropisation dans la Tunisie rurale contemporaine

NGUINGUIRI Jean-Claude, KATZ Esther
Perception de l’impact de l’homme sur les ressources naturelles chez les Vili du Congo

VASSALLUCCI Jean-Louis
Le suivi de l’impact des actions anthropiques sur le littoral de la Manche Orientale

PASCAL Jean -Paul
Politiques des milieux et milieu des politiques. Histoire d’antagonismes

CROSNIER Capucine
« Administrer la nature ». Enjeux biologiques et sociaux dans le Parc National des Cévennes

CÉZILLY Franck, TARIS Jean-Paul
L’importance écologique des milieux artificiels : le cas des oiseaux d’eau coloniaux

Sommaire

Couverture

Introduction : BAUDOT Patrick, BLEY Daniel, BRUN Bernard, PAGEZY Hélène, VERNAZZA-LICHT Nicole
L’impact de l’homme sur le milieu : quelle gestion pour quelle nature ?

BRUN Bernard
L’impact de l’homme sur la nature : évolution du vocabulaire

ROSSI Georges
Notre environnement : essai sur la géographie et l’écologie

BONIN Gilles, LOISEL René
Anthropisation et analyse écologique en milieu méditerranéen

RIBÉREAU-GAYON Marie-Dominique
Entendre, voir, sentir, aménager : les Landes de Gascogne

JIMENEZ Floréal
Barrages contre la nature. Lecture cinématographique d’une valorisation et d’une dévalorisation de l’action de l’homme sur la nature

MORHANGE Christophe, HESNARD Antoinette, BOUIRON Marc
5000 ans de dégradation du milieu naturel sur les rives du Lacydon de Marseille

PICON Bernard
De l’homme à la nature : l’exemple du Delta du Rhône

SIMONE Claude
Essaouira : naissance d’une ville et impact de ses activités sur le milieu

PICOUET Michel
Croissance démographique et anthropisation dans la Tunisie rurale contemporaine

NGUINGUIRI Jean-Claude, KATZ Esther
Perception de l’impact de l’homme sur les ressources naturelles chez les Vili du Congo

VASSALLUCCI Jean-Louis
Le suivi de l’impact des actions anthropiques sur le littoral de la Manche Orientale

PASCAL Jean -Paul
Politiques des milieux et milieu des politiques. Histoire d’antagonismes

CROSNIER Capucine
« Administrer la nature ». Enjeux biologiques et sociaux dans le Parc National des Cévennes

CÉZILLY Franck, TARIS Jean-Paul
L’importance écologique des milieux artificiels : le cas des oiseaux d’eau coloniaux

Introduction

L’impact de l’homme sur la nature :
quelle gestion pour quelle nature ?

Par Patrick Baudot, Daniel Bley, Bernard Brun,
Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht

Jusqu’au siècle dernier, évoquer les relations entre l’homme et son environnement, c’était d’abord imaginer des populations humaines confrontées aux diverses contraintes de la nature sauvage. S’adapter consistait d’abord à apprendre à vaincre le froid ou l’aridité, à tirer profit des ressources de la forêt ou de la mer, dans un deuxième temps seulement à développer celles de l’agriculture.

L’omniprésence de la référence à la nature s’est accentuée avec le souci de protection des sites d’abord, de la nature en tant que système vivant ensuite. De la nature ennemie, on est passé à l’homme ennemi de la nature, jusqu’au moment récent où la réflexion de sociologues et de philosophes a mis en question le concept même de nature à l’état pur : l’homme n’a-t-il pas imprimé sa marque sur tous les écosystèmes depuis la nuit des temps, allant jusqu’à modifier la composition de l’atmosphère, et se révélant potentiellement capable de bouleverser les climats ?

Nul ne doute cependant que l’espace d’un alpage dans un parc national ou les étendues non défrichées de la forêt amazonienne soient beaucoup plus proches de ce qui a pu être la nature sans l’homme qu’un champ cultivé ou une agglomération moderne : les concepts d’anthropisation visent à exprimer de telles différences.

Il nous est vite apparu que si le concept d’anthropisation avait l’immense avantage de gommer des clivages artificiels, il ne recevait pas la même acception de tous. L’impact des activités humaines sur les milieux naturels ne peut en effet pas être évalué à partir des mêmes critères par l’agronome, l’économiste, l’écologue, le géographe, le juriste, l’anthropologue, le sociologue,… et par les différents groupes d’acteurs et d’ utilisateurs.

Le présent ouvrage tente de rendre compte de cette pluralité à travers le thème « Impact de l’homme sur les milieux naturels – perceptions et mesures ». Notre objectif n’était pas une impossible exhaustive, mais une confrontation de démarches et de réflexions; leur diversité laisse apparaître des convergences de préoccupations qui fondent les divisions de l’ouvrage.

La première partie traite des « définitions et représentations de l’anthropisation ». Elle réunit les points de vue d’un géographe, d’un historien, d’un anthropologue et d’écologues.

La démarche de Bernard Brun montre que l’évolution du concept d’anthropisation utilisé par les scientifiques se reflète au niveau du vocabulaire, qui est un révélateur de la pensée d’une époque et en traduit les représentations. Cette évolution du concept d’anthropisation renvoie à l’ambiguïté relative au concept de milieu « naturel », faisant davantage référence à la perception de l’environnement qu’à l’existence de véritables milieux naturels.

En effet l’état d’un milieu à un moment donné, est selon le géographe Georges Rossi, le produit d’une histoire singulière, et son évolution se caractérise par une succession d’états d’équilibre. Le caractère perçu comme destructeur de l’impact de l’homme doit être relativisé dans le temps, les actions d’amé- nagement devenant de simples éléments dans l’évolution des écosystèmes. Afin de mieux comprendre les facteurs découlant des rapports entre l’homme et son environnement (évolution démographique, incitations politiques, réponses sociales, etc.) impliqués dans l’évolution des milieux, Rossi propose une lecture de la dynamique des paysages à partir d’images satellites et de cartographie assistée par ordinateur.

À partir de l’exemple méditerranéen, Gilles Bonin et René Loisel repensent les concepts de milieu « naturel » et d’anthro- pisation. En région méditerranéenne, tous les milieux étant à des degrés divers, anthropisés, donc non naturels, ces auteurs proposent de considérer comme naturel tout milieu où les réactions fonctionnelles des écosystèmes ne relèvent pas directement de l’activité de l’homme. Le grand public, quant à lui, a une vision beaucoup moins restrictive des milieux naturels, associant étroitement le concept d’anthropisation au concept moral de dégradation. Comme le degré de « naturalité » dépend de l’activité humaine, les auteurs proposent de le définir par des indicateurs directs et indirects d’anthropisation.

Marie Dominique Ribéreau-Gayon retrace l’évolution depuis le XIIe siècle des représentations d’une région faiblement anthro- pisée, les Landes de Gascogne. Cette région, peu peuplée, s’est vue attribuer selon les époques et en fonction des mouvements de pensée, tous les qualificatifs associés aux côtés répulsifs d’une nature non domestiquée :

insalubrité, puanteur, désertifi- cation. Après diverses tentatives d’aménagement de ce « désert » occupé par quelques bergers, les Landes ont été assimilées au XIXe siècle à une « colonie intérieure » et les politiques d’amé- nagement menées autour de l’exploitation du pin. Après une période prospère d’une cinquantaine d’années, la culture du pin a eu pour effet de créer le « vide » humain, industriel et sensoriel qui avait pourtant motivé les grands aménagements du XIXe siècle.

Totalement différente est l’approche que propose Floréal Jimenez de l’impact de l’homme sur les milieux naturels à travers l’analyse du contenu de réalisations cinématographiques. Les barrages sont un exemple privilégié de l’un des impacts les plus spectaculaires de l’homme sur la nature. L’image cinématogra- phique propose sans doute la meilleure représentation d’un imaginaire mythologique qui tantôt valorise l’aboutissement de la technique la plus moderne, tantôt déplore la destruction d’une nature magnifiée.

La seconde partie décrit la dynamique de l’anthropisation à travers des études de cas, illustrant la diversité des situations et des méthodes d’ étude.

À partir de fouilles sur le site du vieux Port, le Lacydon, Christophe Morhange, Antoinette Hesnard et Marc Bouiron reconstituent l’histoire de l’occupation du site de Marseille depuis le Néolithique. La première crise de l’environnement littoral a lieu au Néolithique final : un envasement progressif et le dépôt anthropique d’huîtres vont arrêter la bio- accumulation de maërl. Il s’agit d’une crise biologique, liée à une occupation du sol limitée à la côte. Quand les Phocéens se sont implantés vers 600 avant J.C, les biocénoses marines originelles de la rive nord du Lacydon étaient fortement dégradées. L’urbanisation successive des collines de Massalia va ensuite entraîner une crise détritique majeure. Les auteurs montrent ainsi comment l’utilisation de méthodes sédimentologiques permet la reconsti- tution des principales étapes de la colonisation d’un site.

Bernard Picon explique à propos de la Camargue, considérée souvent par le grand public, comme un milieu naturel, l’ambi- guïté de cette représentation. En effet, l’histoire de la Camargue est relativement récente puisqu’elle n’existait pas il y a 20 000 ans. Ce sont les différentes phases d’exploitation, ou plutôt d’aménagement par l’homme qui ont modelé la Camargue à l’image actuelle. L’image de la nature s’est ici construite sur la base d’une artificialisation du milieu par l’homme : endiguement du delta, drainage des lagunes et mise en place d’un réseau d’irrigation et de pompage. Les milieux dulçaquicoles de la Camargue liés à l’activité agricole, les milieux salés de la Basse Camargue liés à l’activité salinière et les milieux saumâtres de la Réserve Nationale contribuent tous à la biodiversité du delta. Il en résulte que les activités de mise en valeur ne sont pas forcément un défi à la nature, et peuvent contribuer à modeler des milieux d’une telle richesse biologique qu’ils sont ultérieu- rement qualifiés de patrimoine naturel.

Les articles de Claude Simone et Michel Picouet ont en commun de mettre l’accent sur les interférences entre les contraintes écologiques – particulièrement frappantes dans les régions arides – et les conditions socio-démographiques d’exploitation des ressources naturelles ou agro- sylvo-pastorales. C’est très loin en arrière que Claude Simone doit remonter dans le temps pour expliquer les fluctuations de l’environnement aux alentours de la ville marocaine d’Essaouira. Tout un cycle d’actions et de réactions, changeant au fil de l’histoire, s’est instauré entre la ville et son environnement. En schématisant outrancièrement, on pourrait dire que la forêt a créé la ville. qui a détruit la forêt et induit un processus d’ensablement de la ville, malgré la reforestation engagée actuellement.

En Tunisie, Michel Picouet montre comment les bouleversements consécutifs à la colonisation et à la modernisation ne peuvent être compris qu’en reconstituant les stratégies familiales d’adaptation. Il souligne une double précarité : des milieux naturels face à la pression anthropique; des sociétés humaines faces aux contraintes du milieu et aux conséquences de sa surexploitation.

Jean-Claude Nguinguiri et Ester Katz ont constaté, une fois de plus, l’interaction entre le développement de la ville et l’impact de l’homme sur le milieu naturel. Dans une plaine côtière du Congo, ils montrent comment la population résidente tend à intensifier ses activités de pêche et de chasse pour approvisionner la ville de Pointe Noire. Ils examinent également les différences de perception du milieu et des ressources entre populations autochtones et scientifiques.

Dans la dernière partie de l’ouvrage, intitulée « problèmes et politiques de gestion des milieux », Jean Louis Vassallucci, ancien responsable de l’Observatoire de l’Environnement Littoral et Marin pour la Région Nord- Pas-de-Calais, enrichit la réflexion à partir de son expérience de gestionnaire. Les problèmes sont nombreux : qualité des eaux, pollution générale, évolution de la pression foncière, évolution du trait de côte, développement du tourisme. Ils témoignent d’une pression anthropique globalement croissante. Les mesures proposées visent partiellement à réduire, au moins localement, cette pression. C’est la multiplicité des problèmes et des procédures qui a entraîné la mise en place d’un organisme unitaire, l’Observatoire de l’Environnement Littoral et Marin.

Jean-Paul Pascal apporte le regard d’un gestionnaire, élu local engagé politiquement dans le mouvement « Génération Écolo- gie ». À partir de trois exemples (gestion des cours d’eau, de la forêt, des déchets), il souligne les antagonismes de perception entre les différentes catégories d’usagers, de décideurs et d’aménageurs. La diversité des perceptions et des intérêts interdit une gestion purement technicienne au service d’un intérêt général bien défini.

Le parc national des Cévennes est le seul parc national français qui n’ait pas contourné les problèmes liés aux implantations humaines permanentes par un découpage ad hoc des espaces protégés. Gestionnaire à la direction du parc, Capucine Crosnier a donc été confrontée au difficile exercice de se fixer un triple objectif de protection de la « nature », de protection des agroéco- systèmes existants et de développement humain. À travers l’his- toire, souvent complexe, de la gestion de cette situation, c’est toute une réflexion sur la finalité de la protection de notre envi- ronnement qu’elle nous propose.

Ce n’est pas un hasard si les conclusions de Frank Cézilly et Jean-Paul Taris se recoupent largement avec celles de Bernard Picon : travaillant à la station biologique de la Tour du Valat, au cœur de la Camargue, ils montrent à partir de leur expérience locale comme à travers une recension de travaux mondiaux, qu’il n’y a pas d’incompatibilité radicale entre une certaine anthropisation des zones humides et la protection d’oiseaux d’eau emblématiques, comme par exemple le flamant rose. Non seulement des compromis peuvent être trouvés entre les objectifs de protection de la biodiversité et ceux du développement agricole et industriel, mais des aménagements spécifiques peuvent favoriser des espèces rares.

Une fois de plus se retrouve donc posée la question : quelle gestion pour quelle nature ?

Introduction

L’impact de l’homme sur la nature :
quelle gestion pour quelle nature ?

Par Patrick Baudot, Daniel Bley, Bernard Brun,
Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht

Jusqu’au siècle dernier, évoquer les relations entre l’homme et son environnement, c’était d’abord imaginer des populations humaines confrontées aux diverses contraintes de la nature sauvage. S’adapter consistait d’abord à apprendre à vaincre le froid ou l’aridité, à tirer profit des ressources de la forêt ou de la mer, dans un deuxième temps seulement à développer celles de l’agriculture.

L’omniprésence de la référence à la nature s’est accentuée avec le souci de protection des sites d’abord, de la nature en tant que système vivant ensuite. De la nature ennemie, on est passé à l’homme ennemi de la nature, jusqu’au moment récent où la réflexion de sociologues et de philosophes a mis en question le concept même de nature à l’état pur : l’homme n’a-t-il pas imprimé sa marque sur tous les écosystèmes depuis la nuit des temps, allant jusqu’à modifier la composition de l’atmosphère, et se révélant potentiellement capable de bouleverser les climats ?

Nul ne doute cependant que l’espace d’un alpage dans un parc national ou les étendues non défrichées de la forêt amazonienne soient beaucoup plus proches de ce qui a pu être la nature sans l’homme qu’un champ cultivé ou une agglomération moderne : les concepts d’anthropisation visent à exprimer de telles différences.

Il nous est vite apparu que si le concept d’anthropisation avait l’immense avantage de gommer des clivages artificiels, il ne recevait pas la même acception de tous. L’impact des activités humaines sur les milieux naturels ne peut en effet pas être évalué à partir des mêmes critères par l’agronome, l’économiste, l’écologue, le géographe, le juriste, l’anthropologue, le sociologue,… et par les différents groupes d’acteurs et d’ utilisateurs.

Le présent ouvrage tente de rendre compte de cette pluralité à travers le thème « Impact de l’homme sur les milieux naturels – perceptions et mesures ». Notre objectif n’était pas une impossible exhaustive, mais une confrontation de démarches et de réflexions; leur diversité laisse apparaître des convergences de préoccupations qui fondent les divisions de l’ouvrage.

La première partie traite des « définitions et représentations de l’anthropisation ». Elle réunit les points de vue d’un géographe, d’un historien, d’un anthropologue et d’écologues.

La démarche de Bernard Brun montre que l’évolution du concept d’anthropisation utilisé par les scientifiques se reflète au niveau du vocabulaire, qui est un révélateur de la pensée d’une époque et en traduit les représentations. Cette évolution du concept d’anthropisation renvoie à l’ambiguïté relative au concept de milieu « naturel », faisant davantage référence à la perception de l’environnement qu’à l’existence de véritables milieux naturels.

En effet l’état d’un milieu à un moment donné, est selon le géographe Georges Rossi, le produit d’une histoire singulière, et son évolution se caractérise par une succession d’états d’équilibre. Le caractère perçu comme destructeur de l’impact de l’homme doit être relativisé dans le temps, les actions d’amé- nagement devenant de simples éléments dans l’évolution des écosystèmes. Afin de mieux comprendre les facteurs découlant des rapports entre l’homme et son environnement (évolution démographique, incitations politiques, réponses sociales, etc.) impliqués dans l’évolution des milieux, Rossi propose une lecture de la dynamique des paysages à partir d’images satellites et de cartographie assistée par ordinateur.

À partir de l’exemple méditerranéen, Gilles Bonin et René Loisel repensent les concepts de milieu « naturel » et d’anthro- pisation. En région méditerranéenne, tous les milieux étant à des degrés divers, anthropisés, donc non naturels, ces auteurs proposent de considérer comme naturel tout milieu où les réactions fonctionnelles des écosystèmes ne relèvent pas directement de l’activité de l’homme. Le grand public, quant à lui, a une vision beaucoup moins restrictive des milieux naturels, associant étroitement le concept d’anthropisation au concept moral de dégradation. Comme le degré de « naturalité » dépend de l’activité humaine, les auteurs proposent de le définir par des indicateurs directs et indirects d’anthropisation.

Marie Dominique Ribéreau-Gayon retrace l’évolution depuis le XIIe siècle des représentations d’une région faiblement anthro- pisée, les Landes de Gascogne. Cette région, peu peuplée, s’est vue attribuer selon les époques et en fonction des mouvements de pensée, tous les qualificatifs associés aux côtés répulsifs d’une nature non domestiquée :

insalubrité, puanteur, désertifi- cation. Après diverses tentatives d’aménagement de ce « désert » occupé par quelques bergers, les Landes ont été assimilées au XIXe siècle à une « colonie intérieure » et les politiques d’amé- nagement menées autour de l’exploitation du pin. Après une période prospère d’une cinquantaine d’années, la culture du pin a eu pour effet de créer le « vide » humain, industriel et sensoriel qui avait pourtant motivé les grands aménagements du XIXe siècle.

Totalement différente est l’approche que propose Floréal Jimenez de l’impact de l’homme sur les milieux naturels à travers l’analyse du contenu de réalisations cinématographiques. Les barrages sont un exemple privilégié de l’un des impacts les plus spectaculaires de l’homme sur la nature. L’image cinématogra- phique propose sans doute la meilleure représentation d’un imaginaire mythologique qui tantôt valorise l’aboutissement de la technique la plus moderne, tantôt déplore la destruction d’une nature magnifiée.

La seconde partie décrit la dynamique de l’anthropisation à travers des études de cas, illustrant la diversité des situations et des méthodes d’ étude.

À partir de fouilles sur le site du vieux Port, le Lacydon, Christophe Morhange, Antoinette Hesnard et Marc Bouiron reconstituent l’histoire de l’occupation du site de Marseille depuis le Néolithique. La première crise de l’environnement littoral a lieu au Néolithique final : un envasement progressif et le dépôt anthropique d’huîtres vont arrêter la bio- accumulation de maërl. Il s’agit d’une crise biologique, liée à une occupation du sol limitée à la côte. Quand les Phocéens se sont implantés vers 600 avant J.C, les biocénoses marines originelles de la rive nord du Lacydon étaient fortement dégradées. L’urbanisation successive des collines de Massalia va ensuite entraîner une crise détritique majeure. Les auteurs montrent ainsi comment l’utilisation de méthodes sédimentologiques permet la reconsti- tution des principales étapes de la colonisation d’un site.

Bernard Picon explique à propos de la Camargue, considérée souvent par le grand public, comme un milieu naturel, l’ambi- guïté de cette représentation. En effet, l’histoire de la Camargue est relativement récente puisqu’elle n’existait pas il y a 20 000 ans. Ce sont les différentes phases d’exploitation, ou plutôt d’aménagement par l’homme qui ont modelé la Camargue à l’image actuelle. L’image de la nature s’est ici construite sur la base d’une artificialisation du milieu par l’homme : endiguement du delta, drainage des lagunes et mise en place d’un réseau d’irrigation et de pompage. Les milieux dulçaquicoles de la Camargue liés à l’activité agricole, les milieux salés de la Basse Camargue liés à l’activité salinière et les milieux saumâtres de la Réserve Nationale contribuent tous à la biodiversité du delta. Il en résulte que les activités de mise en valeur ne sont pas forcément un défi à la nature, et peuvent contribuer à modeler des milieux d’une telle richesse biologique qu’ils sont ultérieu- rement qualifiés de patrimoine naturel.

Les articles de Claude Simone et Michel Picouet ont en commun de mettre l’accent sur les interférences entre les contraintes écologiques – particulièrement frappantes dans les régions arides – et les conditions socio-démographiques d’exploitation des ressources naturelles ou agro- sylvo-pastorales. C’est très loin en arrière que Claude Simone doit remonter dans le temps pour expliquer les fluctuations de l’environnement aux alentours de la ville marocaine d’Essaouira. Tout un cycle d’actions et de réactions, changeant au fil de l’histoire, s’est instauré entre la ville et son environnement. En schématisant outrancièrement, on pourrait dire que la forêt a créé la ville. qui a détruit la forêt et induit un processus d’ensablement de la ville, malgré la reforestation engagée actuellement.

En Tunisie, Michel Picouet montre comment les bouleversements consécutifs à la colonisation et à la modernisation ne peuvent être compris qu’en reconstituant les stratégies familiales d’adaptation. Il souligne une double précarité : des milieux naturels face à la pression anthropique; des sociétés humaines faces aux contraintes du milieu et aux conséquences de sa surexploitation.

Jean-Claude Nguinguiri et Ester Katz ont constaté, une fois de plus, l’interaction entre le développement de la ville et l’impact de l’homme sur le milieu naturel. Dans une plaine côtière du Congo, ils montrent comment la population résidente tend à intensifier ses activités de pêche et de chasse pour approvisionner la ville de Pointe Noire. Ils examinent également les différences de perception du milieu et des ressources entre populations autochtones et scientifiques.

Dans la dernière partie de l’ouvrage, intitulée « problèmes et politiques de gestion des milieux », Jean Louis Vassallucci, ancien responsable de l’Observatoire de l’Environnement Littoral et Marin pour la Région Nord- Pas-de-Calais, enrichit la réflexion à partir de son expérience de gestionnaire. Les problèmes sont nombreux : qualité des eaux, pollution générale, évolution de la pression foncière, évolution du trait de côte, développement du tourisme. Ils témoignent d’une pression anthropique globalement croissante. Les mesures proposées visent partiellement à réduire, au moins localement, cette pression. C’est la multiplicité des problèmes et des procédures qui a entraîné la mise en place d’un organisme unitaire, l’Observatoire de l’Environnement Littoral et Marin.

Jean-Paul Pascal apporte le regard d’un gestionnaire, élu local engagé politiquement dans le mouvement « Génération Écolo- gie ». À partir de trois exemples (gestion des cours d’eau, de la forêt, des déchets), il souligne les antagonismes de perception entre les différentes catégories d’usagers, de décideurs et d’aménageurs. La diversité des perceptions et des intérêts interdit une gestion purement technicienne au service d’un intérêt général bien défini.

Le parc national des Cévennes est le seul parc national français qui n’ait pas contourné les problèmes liés aux implantations humaines permanentes par un découpage ad hoc des espaces protégés. Gestionnaire à la direction du parc, Capucine Crosnier a donc été confrontée au difficile exercice de se fixer un triple objectif de protection de la « nature », de protection des agroéco- systèmes existants et de développement humain. À travers l’his- toire, souvent complexe, de la gestion de cette situation, c’est toute une réflexion sur la finalité de la protection de notre envi- ronnement qu’elle nous propose.

Ce n’est pas un hasard si les conclusions de Frank Cézilly et Jean-Paul Taris se recoupent largement avec celles de Bernard Picon : travaillant à la station biologique de la Tour du Valat, au cœur de la Camargue, ils montrent à partir de leur expérience locale comme à travers une recension de travaux mondiaux, qu’il n’y a pas d’incompatibilité radicale entre une certaine anthropisation des zones humides et la protection d’oiseaux d’eau emblématiques, comme par exemple le flamant rose. Non seulement des compromis peuvent être trouvés entre les objectifs de protection de la biodiversité et ceux du développement agricole et industriel, mais des aménagements spécifiques peuvent favoriser des espèces rares.

Une fois de plus se retrouve donc posée la question : quelle gestion pour quelle nature ?